Par Franck Baptiste Paris
Rare théière en porcelaine de forme sphérique, munie de son couvercle, d’une anse et d’un bec verseur à l’imitation du bambou.
Décor floral polychrome constitué d’émaux « Kakiémon* » de couleurs verte, bleue et kaki, délicatement réhaussé d’or.
Les parties centrales du corps de la théière arborent des réserves en forme de cœurs qui abritent des chiens de Fö, dans un environnement végétal.
L’anse, le couvercle et le bec verseur sont reliés entre eux par les chaînes d’une très belle monture en vermeil à décor d’oiseau, de sirène et de cerf.
La porcelaine : four d’Arita, préfecture de Saga, Japon vers 1690-1700, commanditée par la Compagnie des Indes hollandaises pour l’exportation en Europe.
Restauration au col de la théière, en partie médiane du bec verseur et un éclat recollé au-dessous.
La monture en argent doré, probablement réalisée en Hollande, vers 1700, par des artisans venus ...
... d’Augsbourg.
?
Provenance :
Collection Sir Anthony Du Boulay (1929-2022), directeur du département Céramique chez Christie’s puis président de Christie’s Genève.
Il est aussi conseiller honoraire pour la céramique auprès du National Trust et a notamment joué un rôle très important au sein de la Société de Porcelaine Française et de l’Oriental Ceramic Society.
?
Dimensions :
Hauteur : 13 cm ; Largeur : 15 cm ; Profondeur : 10 cm.
Théière publiée page 73 dans le catalogue « The world in colours – An exhibition of ceramics with coloured decoration dating from 700 to 1920 », édité par l’Association « The Oriental Ceramic Society ».
Une théière à décor Kakiémon avec une monture proche mais présentant un manque au bec verseur est conservée au British Museum (N° inv. 1034).
Une théière Arita avec une monture proche, vente Christie’s New-York, 15 septembre 1999, lot 89 (14 950 $).
Notre avis :
Notre théière est sortie des fours d’Arita dans les années 1670-1690, avant d’être exportée par la toute puissante « VOC » (Compagnie Néerlandaise des Indes orientales) qui avait établi un comptoir au pays du soleil levant dès le milieu du XVIIème.
Outre ses rares réserves en forme de cœurs, notre théière présente un décor particulièrement raffiné sur un fond d’émail très blanc enrichi des tous premiers émaux « kakiémon » qui feront la renommée internationale des porcelaines d’Arita, au point que de nombreuses manufactures européennes imiteront ce décor très particulier.
Ce type de pièces fait partie des toutes premières porcelaines importées en Europe, avant même le grand commerce avec la Chine.
Cette porcelaine, pratiquement inconnue sur notre continent, est réservée au 17ème siècle à une élite princière ; elle est tellement onéreuse à cette époque qu’elle est collectionnée pour la matière en elle-même.
C’est pourquoi notre théière fut détournée de son usage utilitaire et fut agrémentée, à la manière d’un bijou, d’une monture réalisée par un orfèvre.
Contrairement aux montures rocailles qui feront l’essentiel du prix des pièces de ce type au siècle suivant, c’est bien ici la porcelaine qui est mise en valeur par cette discrète monture aux figures miniatures.
Ce travail d’orfèvrerie représente les quatre éléments, la terre avec un cerf, l’eau par une sirène et l’air par un oiseau, tandis que la porcelaine qui demande une maîtrise parfaite de la cuisson symbolise l’art du feu.
Ce type de monture semble avoir connu un vif succès mais peu nous sont parvenus en bon état, notamment en raison de leurs grandes fragilités dues en partie à la tendreté du métal précieux employé.
Si les orfèvres ne nous sont pas connus avec certitude, l’iconographie des sujets est franchement germanique et les différentes réalisations sont à rapprocher des ateliers d’orfèvrerie d’Augsbourg.
Il est possible que des artisans allemands spécialisés dans ce type de montures réservées jusqu’alors à de rares coquillages, ivoire… quittèrent leur terre natale où le travail manquait pour s’installer à Amsterdam où cette matière recherchée était déchargée en grande quantité.
Mais au vu des stratégies commerciales mises en place par la multinationale hollandaise, il se peut aussi que la compagnie envoie ses plus belles pièces à Augsbourg afin d’être montées puis revendues avec une marge plus importante.
Ce type de pièces primitives, montées par un orfèvre, est extrêmement rare de nos jours, la majorité étant conservée dans les grands musées.
* « Kakiémon » est tiré du nom du potier japonais qui a mis en avant l’art de l’émaillage, Sakaida Kakiémon. Les premières porcelaines à motif Kakiémon ont été fabriquées dans les ateliers d’Arita dans la préfecture de Sage au milieu du XVIIe siècle. Ces lieux sont actuellement classés comme site historique national du Japon. Aussi, cette technique artisanale est considérée comme un des patrimoines culturels japonais. Ce style décoratif est fait en général sur un arrière-plan blanc laiteux, nommé « nigoshide » en japonais. Ce fond accentue la délicatesse et le raffinement des porcelaines. Les dessins composant le motif sont structurés de manière asymétrique. Ils gardent cependant une certaine forme d’équilibre et d’harmonie. La plupart des images composées sont typiques de la culture nippone : chrysanthème, abricotier du Japon, bambou, cailles…