Par Franck Baptiste Paris
Monumental cartel en marqueterie Boulle réalisé en première partie de laiton sur fond d’écaille brune de tortue.
Il est présenté complet avec son dôme et sa console d’origine.
Cette dernière, qui se fixe au mur et supporte l’ensemble, est largement ajourée.
Elle est composée d’un culot d’acanthe en bronze d’où jaillissent cinq volutes finement décorées de rinceaux virevoltants en filets en laiton qui sont terminés par des enroulements agrémentés de masques de femmes.
La partie centrale, de forme cylindrique, arbore un important masque du philosophe Héraclite, qui en pleurs symbolise la tragédie.
Le plateau est ceinturé par une épaisse lingotière en bronze à décor de godrons, centrée d’une chute de rinceaux d’acanthes.
Le boîtier, de forme droite, est soutenu par quatre pieds à griffes de lions surmontés de masques de satyres emplumés, tandis que plus haut quatre cariatides à bustes de femmes maintiennent le ...
... fronton cintré. Ce dernier arbore à son sommet un masque d’Hercule coiffé de la dépouille du lion, souligné par deux massues entrecroisées.
Au-dessus, un petit dôme agrémenté de cornes d’abondance en bronze sert de piédestal à la déesse de la guerre Minerve, qui est représentée casquée et accompagnée de sa lance et de son bouclier.
La face avant, en partie vitrée, permet de contempler l’exubérant décor à la Bérain de la porte arrière.
Un important bas-relief en bronze, dont la découpe suit celle de la traverse chantournée, nous montre deux figures féminines enlacées représentant respectivement la France (collier de l’ordre du Saint-Esprit et fleur de lys) et l’Espagne (collier de l’ordre de la Toison d’or).
A leurs pieds, la dépouille du lion de Némée indique que le combat entre les deux grandes puissances européennes est terminé et que l’heure est désormais à la réconciliation.
Cette allégorie symbolise la fin de la guerre de succession d’Espagne qui intervient en 1714.
Au-dessus du bas-relief, une couronne avec deux palmes entrelacées coiffe la scène et borde la lunette en bronze.
Cette dernière est finement ciselée d’une frise de palmettes sur un fond de grains d’orge, elle découvre un cadran à douze plaquettes émaillées sur un fond de laiton finement gravé.
Les deux aiguilles ajourées indiquent respectivement les heures et les minutes.
Le mouvement d’origine est signé à l’arrière sur la platine « Mynuel à Paris ».
La suspension et l'échappement modifiés au 19 ème siècle.
Louis Mynuel (Paris, vers 1675 / 1680 – 1742) devient en 1705 marchand horloger privilégié du roi suivant la cour. Il a fourni les mouvements des pendules destinés aux plus grandes Cours d’Europe (de Parme, de Pologne, de Suède…), dont une très connue, dite aux Quatre parties du monde, sera livrée à l’Électeur de Cologne.
Très bel état de conservation, parfait état de marche (révisé par notre horloger).
Travail attribuable à l’ébéniste du roi André-Charles Boulle (1642-1732), à Paris, vers 1714-1715.
Dimensions :
Hauteur : 160 cm ; Largeur : 67 cm ; Profondeur : 28 cm
Un cartel similaire avec un mouvement de Louis Mynuel, mais avec quelques variantes au niveau des bronzes, est passé en vente le 9 Décembre 2013 à Paris (Marc-Arthur Kohn lot 11, estimation 130/180 000 euros).
Notre avis :
Comme l’indique l’importante notice réalisée par la société Kohn lors de la vente d’une pièce similaire, l’attribution de l’ébénisterie et des bronzes de notre monumental cartel à André Charles Boulle ne fait guère de doute.
En effet, un cartel du Palais Royal de Stockholm attribué à Boulle présente un bas-relief identique.
Quant aux satyres emplumés que l’on retrouve notamment sur une table conservée à Munich (Bayerisches Nationalmuseum inv R.3896), ils sont récurrents dans l’œuvre du grand maître à partir de 1705.
Le masque dit « d’Héraclite en pleurs » revient lui aussi comme un leitmotiv dans les dessins de l’ébéniste du roi et apparaît entre autres sur le bureau des princes de Condé conservé au château de Versailles.
La finesse de la marqueterie et les fameux rinceaux aux multiples « loopings » sont eux aussi caractéristiques de l’œuvre du maître et se retrouvent sur nombre de ses productions.
Enfin, la collaboration entre Mynuel et Boulle est confirmée par plusieurs pièces comme la fameuse pendule du Char d’Apollon conservée au château de Fontainebleau, ou encore par le cartel en bronze du V&A Museum de Londres.
Si nous ne savons rien du contexte de réalisation, il est intéressant de constater que les deux cartels connus différent légèrement, l’un au dôme plus décoré et à la console agrémentée d’une plainte est conçu pour être vu par le haut, tandis que le nôtre qui arbore un masque d’Hercule sur le fronton est plutôt fait pour être vu depuis l’aplomb.
On retrouve ce type de décor sur les consoles meublant les paliers des grands hôtels particuliers.
Il est fort possible que les deux pièces réalisées par les artisans privilégiés du roi fussent à l’origine une même commande de la couronne pour un bâtiment officiel.
Cette hypothèse est renforcée par la couronne aux deux palmes qui surplombe l’allégorie centrale.
Ce symbole fût notamment utilisée tel quel par le Roi Soleil sur les reliures de ses livres et évoque son chiffre aux deux « L » entrecroisés.
L’ensemble de ces éléments, l’opulence et la préciosité de notre cartel en font une pièce rare qui comme l’indique la notice est effectivement « un chef-d’œuvre de l’horlogerie parisienne de la fin du règne de Louis XIV ».
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