Par Franck Baptiste Paris
Rare cartel d’applique en marqueterie boulle de filets de laiton sur fond d’écailles brunes.
Modèle en « tête de poupée », c’est à dire avec une forme violonée et une partie supérieure circulaire reposant sur une console d’applique à doucine concave.
L’ensemble de la surface est plaqué d’écailles brunes et incrusté de filets de laiton alternant décor de rinceaux floraux et décor à la Bérain.
La caisse est luxueusement agrémentée de bronzes finement ciselés et dorés dont quatre bustes de femmes en « espagnolettes » terminées par des « C » accolés faisant offices de pieds, un bas relief central sur la porte représentant Danae entrain de recevoir Zeus sous la forme d’un aigle se transformant en pluie d’or , des masques de mercure avec des caducées entrecroisées , un angelot sur un dôme à treillis ajouré ou encore des lingotières à frises grodronnées et des cornières de protection.
La console est elle aussi ceinturée d’une ...
... lingotière à frise végétale, les angles sont protégés par quatre puissantes têtes de béliers tandis que la partie basse est terminée par un important culot d’acanthe.
La façade ouvre par une porte vitrée qui laisse entrevoir un cadran à douze plaquettes en émail blanc avec des chiffres romains en bleu, sur un fond de laiton finement gravé, avec les chiffres des minutes sur les bordures et des rinceaux à la Bérain avec des chimères et des écureuils en partie centrale.
Deux aiguilles en acier bleui indiquent les heures et les minutes.
Le mouvement d’origine à suspension à fil de soie est signé sur la plaquette au revers « Ducoroy Paris »*.
Il sonne les heures et les minutes au passage et les quarts et les heures à la demande.
Trés bel état de conservation.
Travail attribué à Charles Cressent*, Paris fin de l’époque Louis XIV, début de la régence vers 1710-1720.
Dimensions :
Hauteur totale : 117 cm
Caisse : Hauteur : 74 cm ; Largeur : 38 cm
Console : Hauteur : 28 cm , Largeur : 43 cm
Modèles similaires :
Avec une console à têtes de béliers :
- Musée des Arts décoratifs de Paris (inv. 3889)
- Vente Christie’s Londres le 5 juillet 1979, lot 27.
-Vente Briscadieux Bordeaux, 26/11/2016, lot 32
Reposant sur un socle :
-Palais de Fontainebleau, mouvement signé « Le Roy ».
-Chateau de Versailles, mouvement signé « Guiot à Paris »
Bibliographie :
Alexis Pradère« Charles Cressent, sculpteur, ébéniste du Régent », aux éditions Faton ; catalogue raisonné du modèle page 302
Notre avis :
A l’instar de beaucoup de pièces datant de l’époque Louis XIV et de la Régence, notre cartel serait resté anonyme si un procès verbal de saisie réalisé dans l’atelier de Charles Cressent ne nous était pas parvenu.
En effet suite à une action judiciaire de la corporation des fondeurs-ciseleurs qui reprochait au célèbre ébéniste de transgresser les règles et de fondre lui même ses bronzes, son atelier fût perquisitionné en 1722 .
L’inventaire précis des bronzes saisis nous permet aujourd’hui de lui attribuer deux modèles trés rares dont notre exemplaire.
La majorité des bronzes de notre cartel est en effet décrit et nous pouvons retrouver dans cette liste:
-Les pieds en espagnolettes sous le N° 4 : « plus trois autres testes de femmes servant à pieds de pendules, coiffées de palmettes et ornées de feuilles en consoles »
-Le cul de lampe de la console sous le N° 20 : « Plus deux culs de lampes de pendules en feuillages »
-Le putti du dôme sous le N°27 : « Plus deux petits enfants appuyez chacun sur un dôme…lesquels enfants sont destinés à mettre sur deux pendules »
-Le bas relief de Danaë sous le N°28 : « Plus deux portes de pendules au bas desquelles sont soudées et ajustées deux figures de femmes représentant Danaë »
-Le lambrequin derrière Danaë sous le N°34 « Plus deux morceaux de draperies servant à la figure de Clitice » (probablement aussi utilisé sur un autre modèle)
-Les têtes de mercure sous le N°45 « Plus deux têtes de Mercure »
D’autres éléments comme les « sphinx appuyés sur une coquille » (N°54) ou « la figure de Léda » (N°43) permettent aussi de lui attribuer le modèle de cartel conservé au Metropolitan Museum de New York (N°Inv 61.69) , modèle dont un exemplaire sur gaine vient de passer récemment en vente publique (Sothebys 28 Février 2024 , lot 139 ; 330 200 euros)
Malgré ces descriptions précises, il existait encore un doute sur l’attribution de notre modèle à Cressent car des exemplaires aux bronzes de faibles qualités ou trés modifiés sont anciennement passés en vente publiques.
A l’instar des pendules têtes de poupée il est possible que ce type de cartel primitif ait souvent subit les affres du temps, il est aussi possible que le modèle fût repris postérieurement par des copieurs comme cela arrivait à l’époque.
Enfin nous voyons une troisième possibilité, la revente de quelques caisses issues de l’atelier de Joseph Poitou que Charles Cressent reprend en 1719.
En raison de la rareté de la marqueterie Boulle dans l’oeuvre de Cressent et de la datation de ces deux cartels, il est fort possible que Poitou qui était spécialiste de la marqueterie de métal soit l’auteur et l’inventeur de ces deux modèles, en collaboration avec le jeune maître sculpteur Charles Cressent qui travaillait alors dans son atelier.
Notre exemplaire dont les bronzes sont précisément décrits dans l’inventaire de Cressent présente les mêmes qualités exceptionnelles de ciselure que le cartel conservé à New York.
De plus, il arbore un mouvement de Pierre Ducoroy, horloger cité dans le livre (page 197) comme collaborateur de Cressent.
La présence du mouvement de cet horloger mort en 1705 nous oriente aussi vers une collaboration Joseph Poitou / Charles Cressent pour notre cartel, car si souvent il y a quelques années entre la fabrication du mouvement, sa vente , son utilisation par l’ébéniste et la commercialisation de la caisse , cela nous remmènerait au maximum dans les années 1715/1720.
La forme circulaire « en tête de poupée » de notre cartel est encore trés typée Louis XIV, tandis que celle plus violonnée de l’exemplaire aux Sphinx est déja tempéré par le style Régence, ce qui indique une production probablement un peu antérieure pour notre version.
Tous ces éléments nous permettent donc d’attribuer définitivement ce modèle à Charles Cressent, peut être en collaboration avec l’ébéniste du Régent Joseph Poitou pour la caisse.
Par ses qualités de ciselure et la finesse de sa marqueterie, par l’homogénéité de ses bonzes et de son mouvement nous pouvons affirmer sans risque que notre exemplaire représente à ce jour la plus belle version connue de ce modèle.
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