Par Stéphane Renard Fine Art
Huile sur toile
54 x 46.5 cm (67 x 58 cm encadré)
Cette réplique du dernier tableau peint par Jean-Baptiste Greuze en 1804, exécuté par sa fille Anna aux côtés de son père et récemment redécouverte, nous montre une image poignante du grand artiste, représenté avec panache malgré les désillusions de la vie.
1. Jean-Baptiste Greuze
Jean-Baptiste Greuze est le sixième enfant d’un couvreur de Tournus et gardera toute sa vie de son enfance provinciale, au-delà de son goût pour la description des scènes pittoresques de la campagne, une certaine rusticité dans son comportement. Après une première formation chez un obscur peintre Lyonnais, Charles Grandon, c’est à Paris que son génie éclate quand il est élu élève titulaire de l’Académie (de Peinture) en 1755. Il expose pour la première fois au Salon de l’été 1755, avant de partir pour un voyage en Italie.
De retour à Paris, Greuze devient un peintre prolifique participant largement aux ...
... Salons qui se tiennent entre 1759 et 1765, Salons auxquels il n’envoie pas moins de 63 toiles : de nombreuses scènes de genre, mais aussi des portraits de son entourage familial, de courtisans et d’amateurs d’art, ou de confrères.
L’Académie lui ferme les portes des Salons en 1767 pour ne pas avoir produit, dans les six mois suivant sa réception comme le voulait la tradition, son morceau de réception, sur lequel il travaille activement jusqu’à l’été 1769, abordant pour la première fois les sujets historiques et mythologiques. Une fois celui-ci achevé , il sera alors reçu pleinement à l’Académie mais comme un peintre de genre, et non comme un peintre d’histoire, ce qui constituera une des plus fortes humiliations reçues dans sa vie.
Greuze refuse alors toute participation à des événements organisés par l’Académie ou par son successeur l’Académie des Beaux-Arts et ce jusqu’en 1800. Abandonnant la peinture d’histoire, il donne un tour nouveau aux scènes de genre, en les rapprochant justement de la peinture d’histoire.
Marié en 1759 à Anne-Gabrielle Babuti, la fille d’un libraire parisien, son mariage est malheureux et sa femme sans doute fréquemment infidèle. L’institution du divorce lui permet d’acter sa séparation en 1793, gardant auprès de lui ses deux filles Anna-Geneviève née en avril 1762 et Louise-Gabrielle née en mai 1764. On sait peu de choses de sa fille Anna si ce n’est qu’elle était elle-même peintre et qu’elle a habité avec son père jusqu’à sa mort. Il est probable que la plupart des peintures qu’elle a réalisées jusqu’à cette date ont été attribuées à son père, dont elle partageait très largement la technique, rendant l’établissement d’un corpus autonome, en l’absence de mention explicite comme sur notre tableau, extrêmement difficile.
Greuze décède dans son studio du Louvre le 21 mars 1805.
Ce sont l’attention portée à l’expressivité de ses personnages et la charge émotionnelle qu’ils transmettent qui feront jouir Jean-Baptiste Greuze d’une immense faveur auprès du public du XVIIIème siècle, et qui constituent peut-être encore aujourd’hui la modernité de Greuze. Comme le disait l’artiste lui-même « j’avais trempé mon pinceau dans mon cœur ».
Dessinateur exceptionnel, Greuze est également un portraitiste d’un immense talent et d’une longévité exceptionnelle qui aura vu défiler sous son pinceau aussi bien le Dauphin (fils de Louis XV et père de Louis XVI) que le jeune Napoléon Bonaparte.
2. Les autoportraits de Greuze
Greuze a toute sa vie été très influencé par la peinture hollandaise. Si c’est plutôt du côté de Gérard Dou et des peintres de Leyde que l’on peut chercher la source de son inspiration pour les scènes de genre, l’influence de Rembrandt a certainement été déterminante dans la réalisation de ses nombreux autoportraits.
Ce n’est qu’à partir de 1800 que Greuze recommence à participer aux Salons et cet autoportrait fait partie des six tableaux envoyés, à l’aube de sa quatre-vingtième année, au Salon de l’été 1804. Ce Salon sera le dernier auquel il participera, 49 ans après son premier Salon en 1755. Ce portrait, aujourd’hui au Musée des Beaux-Arts de Marseille, a été peint peu de temps avant le Salon de 1804. Il constitue donc un véritable adieu de Greuze tant à son public qu’à la peinture, puisqu’il est probable que c’est également un des derniers tableaux qu’il a peint.
« Greuze était d’une taille médiocre, il avait la figure forte, le front très grand, les yeux vifs et bien fendus, une figure spirituelle. Son abord annonçait la franchise et l’homme de génie, il était même assez difficile de ne pas dire « voilà Greuze » sans presque l’avoir vu. » Cette description faite par C.L. Lecarpentier dans Notice sur Greuze lue dans la séance de la Société libre d’Emulation de Rouen (1805) nous donne une description du peintre qui conforte l’impression puissante produite par ce tableau.
Greuze reprend ici la composition d’un portrait qu’il avait peint une cinquantaine d’années auparavant et qui est aujourd’hui au Musée de Tournus . Il se désigne du bout de son porte-crayon et ce geste, plein d’optimisme dans le tableau de jeunesse, peut être lu comme l’affirmation, malgré le poids des ans, de sa qualité de peintre.
Comme souligné par Edgar Munhall dans le Catalogue des expositions organisées en 1976, ce geste plein de confiance en lui et qui contraste avec l’expression inquiète et fragile du regard évoque la phrase de Jean-Jacques Rousseau à qui il a souvent été comparé : « je veux montrer à mes semblables un homme dans toute la vérité de la nature ; et cet homme, ce sera moi ». En le comparant aux autoportraits de Rembrandt, Arsène Houssaye écrivait encore « on s’étonnera de la vigueur d’un peintre de quatre-vingts ans ; cela est franc et vrai comme une tête de Rembrandt ; c’est moins fier et moins beau, mais il s’y trouve ce sentiment attendri qui anime toutes les têtes de Greuze ».
Un mur oblique apparaît à la gauche du peintre (et donc sur la droite du tableau) et ne figurait pas dans son portrait de jeunesse. Ce mur, placé perpendiculairement à la jonction entre la main, peinte dans un remarquable raccourci, et le porte-mine, crée une impression d’enfermement. Il pourrait évoquer la marche inexorable du temps, le terme de la vie qui se rapproche. Cette vision crépusculaire est renforcée par le choix d’une gamme chromatique sombre : un camaïeu de brun, de gris et de lie de vin, sur lequel se détachent la blancheur des cheveux et la délicatesse de la carnation.
Il existe deux autres versions de ce portrait dans des collections publiques : l’une au Musée de L’Hermitage à Saint-Pétersbourg, l’autre au Phoenix Art Museum (Arizona – Etats-Unis d’Amérique).
Notre tableau, quant à lui, semble avoir été peint très peu de temps après le tableau du Salon de 1804, puisqu'une inscription sur le châssis nous indique qu’il a été réalisé et donné en 1805, sans doute juste après la mort du peintre, par sa fille Anna Greuze à celle qui devait être une amie de la famille, la Comtesse de La Tour.
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