Par Stéphane Renard Fine Art
Dimensions encadré : 81 x 67 cm
Cette figure d’une intense expressivité est une étude préparatoire pour le "Marché arabe dans la plaine de la Tocria", un tableau présenté au Salon de 1865 et aujourd’hui conservé au Musée des Beaux-Arts de Lille.
1. Gustave Guillaumet, un peintre « saharien » passionné par l’Algérie
Gustave Guillaumet nait dans une famille d’industriels ; cette aisance lui permettra d’avoir toute sa vie une indépendance financière, assez rare dans les milieux artistiques de l’époque. Elève de François Edouard Picot (1786-1868) et de Félix-Joseph Barrias (1822-1907) à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris, Gustave Guillaumet expose au Salon de 1861 à 1880. Il se différencie de la plupart des autres peintres orientalistes par une vraie connaissance de l’Orient, et plus spécifiquement de l’Algérie, où il se rend une première fois en 1862. Parti pour l’Italie sur ses propres deniers après un échec au Prix de Rome de 1861, ...
... le mauvais temps rencontré sur sa route le fait prendre à Marseille un bateau pour l’Algérie.
Malgré la malaria qu’il attrape là-bas, et qui lui impose un séjour de trois mois à l’hôpital militaire de Biskra, il revient enthousiasmé par ce pays, où il retournera une dizaine de fois. Il sera d’ailleurs le seul peintre à se rendre à cette époque dans l’extrême Sud Algérien, dans la région de Laghouat, aux confins du Sahara, qu’il découvre en 1877.
Comme l’écrivait François Mouquin dans le catalogue de l’exposition consacrée à Guillaumet en 2018 : « sa peinture n’était pas une simple peinture de genre. C’est le portrait d’une culture, celle de l’Algérie, dont il a su merveilleusement apprivoiser la lumière et traduire, mieux qu’aucun autre et comme aurait pu le faire un ethnologue, les coutumes, les métiers traditionnels et la vie patriarcale d’une civilisation millénaire. »
Guillaumet meurt à quarante-sept ans le 14 mars 1887 dans son atelier 5 cité Pigalle. Il est enterré au cimetière de Montmartre, où sa tombe est ornée d’une sculpture de Louis Barrias (le frère de celui qui fut son maitre aux Beaux-Arts) figurant une jeune Algérienne assise.
2. Le "Marché arabe dans la plaine de la Tocria" (5ème photo de la galerie)
Ce vaste tableau (211 x 342 cm) a été présenté au Salon de 1865, aux côtés du Soir dans le Sahara au sud de Bou-Saâda, une autre scène de genre saharienne représentant la halte d’une caravane (aujourd’hui non localisée). Placé sous un soleil zénithal, ce Marché était présenté en opposition à cette vue crépusculaire.
Cette scène de marché évoque un aspect essentiel de la vie des populations semi-nomades du Sud algérien. Sa localisation fait vraisemblablement référence à Ain Tokria, un site archéologique situé sur la commune de Khemisti sur le plateau du Sersou (à une centaine de kilomètres à vol d’oiseau de la côte, entre Alger et Oran). Cette région d’élevage et d’agriculture extensive, alors encore assez inhospitalière était une zone stratégique majeure, entre le Tell et l’Atlas saharien. Le motif s’inspire vraisemblablement aussi du grand marché qui se tenait un peu plus à l’Est, dans la région de Boghar (Ksar el Boukhari), et qui était un important lieu d’échanges entre pasteurs et agriculteurs qui s’y approvisionnaient en céréales, dattes, laine et moutons.
La composition en frise présentant des personnages hiératiques campés dans un paysage désertique est typique des productions de l’artiste. Dans cet environnement aride, écrasé par la lumière méridienne, l’artiste développe une gamme chromatique restreinte - le blanc mat des burnous, les ocres des terres, l’azur du ciel - rehaussée de quelques touches de couleurs vives.
Ces deux tableaux qui représentent une vision « pacifiée » des « indigènes » des Territoires du Sud seront bien reçus au Salon de 1865 (l’un des deux tableaux sera acheté par la direction des Beaux-Arts, l’autre par l’empereur avec sa liste civile) et présentés à l’exposition universelle de 1867. Guillaumet s’emparera de nouveau du même sujet en 1877 , en renouvelant radicalement la composition par l’ajout de figures féminines, absentes de notre premier tableau.
L’étude que nous présentons fait partie d’un corpus assez large de dessins et d’étude peintes documentant à la fois le paysage du Sersou, mais également chaque figure, chaque geste et chaque groupe du tableau, à l’instar de cette étude de Jeune bédouin (pour le personnage au premier plan, au centre la composition - dernière photo de la galerie).
Le boucher arabe (sixième photo de la galerie), situé sur la gauche de la composition est beaucoup plus petit dans la toile que dans notre étude, démontrant le soin de l’artiste dans la préparation des moindres détails de sa composition.
La représentation peinte de notre boucher diffère assez peu de l’étude préparatoire que nous présentons, si ce n’est dans la position du trépied destiné à exposer les morceaux de viande sur laquelle il appuie nonchalamment son poignet gauche, trépied qui est situé en arrière de ses jambes dans cette étude préparatoire. Par ailleurs, dans notre dessin, la lame du couteau saisi de sa main droite, appuyée au niveau de l’abdomen, jointe à l’intensité du regard du personnage, lui confèrent un côté terrifiant, comme s’il s’agissait d’une version orientale d’un Barbe-Bleue sanguinaire, qui contraste avec la physionomie débonnaire du jeune homme représenté dans le tableau.
3. Encadrement
Notre dessin est présenté dans un cadre extraordinaire : vraisemblablement italien du XIXème siècle et peut-être piémontais, celui-ci est orné de marqueteries cubiques qui évoquent les réalisations andalouses inspirées par l’art mudéjar.
Principales références bibliographiques :
Gustave Guillaumet – Tableaux algériens – 1888 - Librairie Plon - Paris
(ouvrage collectif réalisé à l’occasion de l’exposition de 2018) L’Algérie de Gustave Guillaumet – 2018 Gourcuff Gradenigo
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