Par Franck Baptiste Paris
Très belle huile sur toile représentant les ruines d’un temple romain envahi par la végétation.
Une lumière oblique, qui coupe la scène en deux, illumine les détails architecturaux, comme les arcades ou les pilastres qui sont sculptés.
L’œuvre peut sembler être un simple caprice architectural, mais un face à face silencieux entre deux hommes situés en bas à gauche nous délivre une autre histoire.
Il s’agit d’un vieillard pauvrement vêtu et allongé à même le sol qui demande l’aumône à un jeune centurion de l’Empire romain.
Cette scène illustre la vie du général Flavius Belisarius, dit Bélisaire* qui après une brillante carrière dans l’armée de Justinien, est destitué après avoir conspiré contre l’empereur.
La légende raconte qu’il a fini sa vie aveugle, en mendiant dans les ruines, conformément au châtiment réservé aux complotistes. Le moment représenté est celui où un jeune centurion, qui était probablement ...
... anciennement sous ses ordres, lui donne l’aumône.
Cadre en bois et stuc doré à décor de palmettes et de perles, d’époque début XIXe siècle.
Bel état de conservation, rentoilage et châssis postérieur.
Travail français, vers 1730-1740, attribué à Jean-Nicolas Servandoni pour la vue d’architecture, et peut-être François Lemoyne ou François Boucher pour les figures.
Dimensions :
Cadre ; Hauteur : 113 cm ; Largeur : 90 cm
Tableau ; hauteur : 97 cm ; Largeur : 74 cm.
Bibliographie :
Guillaume Glorieux, Jean-Nicolas Servandoni et la peinture d'architecture au XVIIIe siècle.
Notre avis :
L’œuvre que nous présentons est probablement un des tous premiers tableaux de ruine réalisé en France au début du XVIIIe siècle, par Jean-Nicolas Servandoni*.
Si ce peintre est aujourd’hui très connu en tant qu’architecte et décorateur, il fut à l’époque un grand spécialiste des représentations de monuments en ruine, qu’il exposa au Salon entre 1730 et 1765.
Diderot ne cessera de louer le talent de celui qui ravira aussi les plus importants collectionneurs parisiens de son époque, dont le cardinal d’Auvergne, le comte de Choiseul, la Live de Jully, ou encore Blondel de Gagny.
Les archives nous apprennent qu’il réalisait entièrement la partie architecturale de ses tableaux, tandis qu’il laissait le soin à des peintres tels que Lemoyne ou Boucher, la réalisation des figures, ce qui est probablement le cas sur notre tableau.
Il est celui qui va faire connaître ce goût nouveau en France, et sera le lien entre son maître, Giovanni Paolo Panini et son élève, Pierre-Antoine Demachy.
Il est d’ailleurs intéressant de noter que Servandoni collabore avec Panini pour les projets de célébration de la naissance du dauphin, à partir de 1729. Cette période correspond à celle où le maître italien peint sa version de l’Aumône à Bélisaire dans les ruines, aujourd’hui conservée au musée du Louvre (inv. MNR 304).
Il est aussi intéressant de rapprocher notre œuvre d’une des premières toiles de Demachy, peinte vers 1755 (musée du Louvre, inv. 6409), qui présente une composition très proche de temple en ruine avec la même lumière oblique.
Le côté décoratif de notre œuvre attire l’œil du spectateur par sa lumière intense et la minutie de ses détails architecturaux, mais c’est bien un message philosophique qui nous est délivré.
Le peintre choisit l’ombre et la lumière pour symboliser la grandeur et la décadence ; Grandeur des monuments romains, et décadence de ses ruines ; Grandeur de la carrière du Général Bélisaire, et décadence de la fin de sa vie.
Notre tableau est en quelque sorte un « memento mori », et même un « Sic transit gloria mundi », (« Ainsi passe la gloire du monde ») qui rappelle le caractère éphémère de la vie, et cela malgré toutes les richesses et les pouvoirs accumulés.
Jean-Nicolas Servandoni (1695-1766)*
Né à Florence, de père français, Jean-Nicolas Servandoni a eu une carrière exceptionnelle, tant par la variété et l'étendue de ses talents que par la diversité des lieux où ils se sont exercés. Élève, à Rome, de Panini pour la peinture et de Rossi pour l'architecture et la décoration, c'est à Lisbonne qu'il se fait connaître par ses décors pour l'opéra italien. Mais c'est à Paris, où il se fixe dès 1724, qu'il va obtenir ses grands succès de décorateur, puis d'architecte et, « par l'étendue de ses lumières », mériter l'admiration sans réserve de J.F. Blondel. Il fut d’ailleurs chargé d’élaborer des décors pour l’Opéra, concevant des machines et toiles peintes pivotantes.
En 1728, il devint le Premier peintre-décorateur et directeur des machines de l’Académie Royale de Musique et conserva cette fonction jusqu’en 1742.
En 1729, Servandoni participa avec Panini à la conception des décorations célébrant la naissance du dauphin.
En 1731, il fut admis à l’Académie royale de peinture et de sculpture en tant que peintre de ruines antiques. Ce dernier apparaît comme un grand représentant d’un classicisme rigoureux tourné vers l’antique.
Général Bélisaire (500-565)*
Justinien Ier fit de lui le premier général de l'Empire. Vainqueur des Perses en 530, lors de la sédition, en 532, il sauva le trône de Justinien. Il reconquit l'Afrique sur les Vandales (533) et occupa la Sicile (535), Naples et Rome, mais sous le roi Vitigès, les Ostrogoths l'assiégèrent dans Rome, qu'il défendit avec héroïsme pendant un an (537-538).
Rome délivrée, Bélisaire s'empara de Ravenne. Ses succès excitèrent la jalousie de la cour puis de l'empereur, qui le rappela ; en 541 et 542, Bélisaire arrêta les Perses du roi Khosrô Ier qui tentaient d'occuper l'Asie Mineure, mais, sans forces suffisantes, il échoua en 544 dans la défense de Rome contre les Ostrogoths de Totila.
Découragé, il demanda son rappel et commanda à Constantinople la garde impériale. Par un dernier exploit, il sauva Constantinople de l'attaque des Huns en 559. Mais il fut, en 562, impliqué dans une conspiration et disgracié quelque temps. La légende de Bélisaire aveugle et mendiant n'a aucune réalité historique.
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