La grotte du Pausilippe de nuit à Naples par Louis-Jean Desprez (1743 – 1804)

... d’Architecture où il suit en particulier les cours de Jean-François Blondel. Premier Prix de Rome d’architecture en 1776, il devient élève pensionnaire à l’Académie de Rome et arrive à Rome le 3 septembre 1777.

Il est très rapidement engagé par l’abbé de Saint-Non pour contribuer à l’illustration du Voyage Pittoresque. Il part ainsi avec lui à Naples, vraisemblablement dès le mois de novembre de cette même année 1777 et parcourt l’Italie du Sud, la Sicile et Malte jusqu’en 1779 dessinant 130 planches du Voyage Pittoresque.

De retour à Rome en 1779, il s’associe en 1781 avec Francesco Piranesi (1758 – 1810), dans la production de grandes compositions gravées à l’eau forte qu’il décore à l’aquarelle. Ces vues présentées comme des « dessins aquarellés » sont vendues dans la boutique romaine de Piranesi aux touristes fortunés du Grand Tour, concurrençant celles produites par Volpato et Ducros.

Le roi de Suède Gustave III, arrivé à Rome le 24 décembre 1783 le rencontre dans son atelier le 23 mars 1784 et lui propose assez rapidement la direction des décors du théâtre royal de Stockholm. Installé en Suède dès 1784, Desprez est chargé en 1787 de la supervision des travaux du palais royal d’Haga et devient le premier architecte du roi en 1788. Seules les fondations seront construites pour ce palais monumental, le projet étant abandonné après l’assassinat du roi Gustave III lors d’un bal masqué le 29 mars 1792. Desprez reste en Suède après la mort de son protecteur où il construit le conservatoire du jardin botanique d’Uppsala et quelques autres bâtiments avant de finir ses jours à Stockholm.

2. La grotte du Pausilippe, une étape essentielle du Grand Tour

La Crypta Neapolitana, appelé également grotte du Pausilippe est un tunnel routier creusé au début de l’Empire romain dans le tuf volcanique de la colline du Pausilippe, à l’ouest de la baie de Naples. De dimensions monumentales, (705 mètres de long, 4,5 mètres de large et 5 mètres de haut) elle permettait de rejoindre les villes résidentielles de Baiae et de Puteoli (Pozzuoli aujourd’hui).

Alors qu’Herculanum, cité découverte avant Pompéi ne fut dégagée à ciel ouvert qu’au XIXème siècle, ce n’est que vers 1765 que commencèrent les fouilles systématiques et le dégagement de la ville de Pompéi. Avant cette date les voyageurs désirant voir des monuments antiques à Naples se rendaient plutôt sur les sites situés à l’ouest de la ville (les thermes de Baiae et le site du Cumes en particulier), empruntant à cette occasion la grotte du Pausilippe.

Le président de Brosses décrit ainsi une excursion réalisée le 14 novembre 1738 (Lettre X, volume II A monsieur de Neuilly – Mémoire sur les environs de Naples ) : « Remontés dans nos chaises, nous nous enfonçâmes dans la grotte, ou chemin percé en voûte à travers le Pausilippe, par où l’on gagne l’autre côté de la colline […]. Au milieu du chemin qui me parut avoir mille pas de long, on a fait à la voûte une ou deux grandes lanternes qui percent jusqu’en haut pour donner un peu de jour. […] Quoique fort obscur, il ne l’est pas au point de se heurter, et deux voitures de front y passent assez commodément. »

Ce tunnel sera utilisé jusqu’à la fin du XIXème siècle, où il fut fermé à cause de problèmes d’instabilité.

3. Description de l’œuvre

Desprez accentue le caractère monumental de la grotte qui apparaît nettement plus haute que large. La composition qui baigne dans une lumière bleutée assez surnaturelle est rythmée par les différentes zones lumineuses créées par les ouvertures que l’on devine à la voûte. On aperçoit également le bout du tunnel sur lequel se détache la silhouette d’un carrosse.

Une foule nombreuse, de toutes conditions sociales anime la composition : paysans revenant du marché, bergers conduisant leur troupeau… Deux voitures légères à cheval, chacune éclairée par un domestique debout à l’arrière équipé d’une torche se croisent et l’on distingue dans celle de gauche qui vient vers nous un couple élégant dont la femme tient un large éventail. Seules quelques touches de bleu dans les vêtements animent la composition dont la couleur dominante est le gris. La fumée des deux torches, traitée à la gouache, prend un relief tout particulier.

La figure du moine, qui semble surgir d’une chapelle creusée dans la paroi gauche du tunnel pour bénir deux passants accompagnés de leurs ânes pourrait sortir d’un roman gothique ; on songe au sombre Père Schedoni, figure terrifiante de L’Italien ou le Confessionnal des Pénitents noirs qui sera publié en 1797 par Ann Radcliffe et dont l’action se passe à Naples.

Différents éléments renforcent d’ailleurs le caractère inquiétant, presque fantastique de la scène : un chat s’avance sur la poutre sur laquelle est suspendue une lampe, comme pour poursuivre deux gros rats, alors que deux hiboux dont les ailes ressemblent à celles de gigantesques chauves-souris volettent au-dessus de la scène.

La liberté de l’exécution à l’aquarelle fait oublier la base gravée par Piranèse, qui se distingue surtout dans la description de la foule qui se presse le long de l’étroite voie de communication. L’espace immense des murailles est lui éxécuté de manière très libre, avec juste quelques points d’appui gravés de ci ou de là.

4. La collaboration entre Piranèse et Desprez

Les deux artistes prévoyaient l’exécution de 19 grandes vues de Rome et de Naples, ainsi que d’un grand nombre de gravures de plus petit format. Seule la moitié des grands formats fut publiée, l’aventure ayant été écourtée par le départ de Desprez en Suède. La Grotte du Pausilippe, l’Eruption du Vésuve et la Girandole au-dessus du château Saint-Ange constituent les trois compositions les plus originales et les plus recherchées de la série.