Par Stéphane Renard Fine Art
Provenance : collection Chennevières/ vente Sotheby's 30/06/1986 - lot 134 (anonyme XVIIème siècle)
Alors que la facture très particulière de ce dessin se retrouve dans d’autres dessins conservés dans différentes collections publiques européennes, son auteur reste mystérieux et anonyme. Cette feuille magistrale qui provient de la collection Chennevières y était attribuée à Jean-Baptiste Forest (1635 – 1712), un peintre français devenu académicien en 1674, mais cette attribution ne nous paraît pas pertinente par rapport aux quelques dessins connus aujourd’hui de cet artiste rare.
Le caractère onirique de ce paysage nous oriente vers un peintre flamand actif en Italie dans la première moitié du XVIIème siècle. La proximité avec l’œuvre graphique d’un autre peintre flamand fixé à Vicence à partir de 1582, Loedwiijk Toeput, dit le Pozzoserrato (vers 1550-1605) a amené Carolina Trupiano Kowalczyk à proposer de regrouper l’ensemble de ces ...
... dessins sous le vocable du « Suiveur de Pozzoserato », en espérant que l’apparition d’autres œuvres similaires permette un jour d’identifier ce mystérieux – et talentueux - artiste.
1. Description de l’œuvre
Le groupe formé d’un homme, un baluchon sur le dos, qui guide un âne sur lequel est assise en amazone une femme, un enfant dans les bras, évoque le thème de la fuite en Egypte. L’homme est interpellé par un autre homme vêtu d’une toge (un soldat romain ?) qui se chauffe autour d’un feu avec trois de ces compagnons, mais il semble déterminé à continuer sa route.
Au deuxième plan se déploie un vaste paysage, vraisemblablement imaginaire, représentant une petite ville construite sur une colline qui surplombe un lac au bord duquel sont amarrés quelques bateaux de pêche. Les maisons sont dominées par un campanile et par la tour fortifiée d’une importante forteresse médiévale sur la droite, d’où s’échappe un panache de fumée qui se perd dans le ciel nuageux, confirmant le caractère hivernal de la scène.
En arrière-plan se déploie un paysage de montagnes escarpées, rapidement esquissées, qui confèrent à ce paysage un caractère fantastique, légèrement irréel. Cette étrangeté est encore renforcée par la présence sur la gauche d’un pont – dont les arches ne sont pas sans rappeler celles du Ponte Molle à Rome - et d’une mystérieuse forteresse en ruine, située sur la rive sur laquelle avance le groupe de la Sainte Famille.
Ce dessin a été exécuté à la plume et au lavis d’encre brune sur un tracé préparatoire à la sanguine. L’artiste fait preuve d’une grande vivacité dans ses traits, s’affranchissant souvent du dessin préparatoire. Alors que l’influence de Claude Lorrain est évidente, le caractère nerveux et haché du dessin évoque l’œuvre d’un dessinateur nordique, inspiré lors de son voyage en Italie par les paysages des régions montagneuses du Nord de la péninsule.
2. Une provenance prestigieuse : Philippe, marquis de Chennevières
Charles-Philippe, marquis de Chennevières-Pointel, est parmi les amateurs du XIXe siècle une des figures les plus saillantes, ayant collectionné tant comme connaisseur que comme historien érudit. Après avoir été en fin de carrière Directeur des Beaux-Arts pendant quatre ans, il consacre sa retraite à la rédaction de ses Souvenirs, mais également à la description de sa riche collection de 4000 dessins, par 22 articles consécutifs publiés entre (1894 et 1897) dans l’Artiste. Alors que les dessins étrangers de sa collection avaient été vendus à Amsterdam en 1882, le cœur de sa collection, les dessins de l’école française (ou considérés comme tels) sont dispersés en deux ventes, les 5 et 6 Mai 1898 et du 4 au 7 avril 1900.
Notre dessin, qualifié par Chennevières comme étant « très nourris et d’une la plume très chaleureuse » constitue le numéro 824 ou le numéro 825 du catalogue de sa collection tel qu’établi par Louis-Antoine Prat (avec la collaboration de Laurence Lhinares).
3. De troublantes similitudes avec d’autres dessins conservés dans de grands cabinets européens
Alors que l’artiste qui a réalisé cette œuvre reste anonyme, cette œuvre peut être mise en rapport avec un certain nombre de paysages conservés dans de grands musées européens qui ont tous en communs d’être anonymes ou vraisemblablement mal attribués, mais qui pourraient bien être tous de la même main que notre dessin.
Un paysage conservé au British Museum (9ème photo de la galerie), de taille très proche de celle de notre dessin (285 x 395 mm), présente ainsi des similitudes frappantes, à la fois dans bon nombre de motifs (tronc de l’arbre mort au premier plan, bateaux échoués et ville en arrière-plan, traitement de la végétation) mais également par sa technique.
Bien que ne reprenant absolument pas le style de cet artiste, il a été anciennement attribué à Pierre-Antoine Patel, sans que cette attribution ait été reprise dans la monographie consacrée au peintre par Natalie Coural.
Nous retrouvons la même main dans un autre dessin du British Museum (10ème photo de la galerie), il est également attribué à l’école de Patel. D’une taille légèrement inférieure, il représente une ville en flamme. La sanguine a été remplacée ici pour le dessin préparatoire par de la pierre noire mais le traitement de la végétation, des nuages et des quelques personnages au premier rang rappelle également notre dessin.
4. L’influence du Pozzoserrato
Loedewick Toeput, dont le nom, qui signifierait « le puits fermé » en flamand a été transposé en italien en Pozzoserrato, est un peintre flamand qui serait arrivé à Venise vers 1573-1574. Il voyage ensuite à Florence et à Rome avant de se fixer définitivement à Vicence en 1582. Il est surtout connu pour les scènes souvent allégoriques qu’il déploie dans de vastes paysages, mêlant influences flamandes et vénitiennes. Son goût pour le paysage se retrouve également dans son œuvre graphique, dont le dessin ci-dessous (présenté en vente chez Sotheby’s le 5 juillet 2006 – lot 209) est un bon exemple.
La structure ruinée à la gauche de notre dessin, l’atmosphère à la limite du fantastique qui mêle éléments lacustres et architecture médiévale constituent un faisceau d’indices qui amène à discerner, au-delà de celle de Claude Lorrain et des peintres de paysages actifs à Rome comme Salvador Rosa ou Pier Francesco Mola, l’influence vraisemblablement prépondérante de Pozzoserrato.
Il est intéressant à cet égard de mentionner un autre dessin de la fin du XVIème siècle dans lequel on retrouve un certain nombre d’éléments très proches de notre paysage (dernière photo de la galerie). Ce paysage, aujourd’hui considéré comme une école néerlandaise du XVIème siècle, était auparavant considéré comme une œuvre … du Pozzoserrato !
5. Encadrement
Ce dessin est vendu non encadré. Nous pouvons proposer comme proposition d'encadrement un cadre bolonais du XVIIème siècle, qui a été utilisé pour la 8ème photographie dans la galerie (prix sur demande).
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