Par Galerie Latham
C’est à l’Ecole des Arts industriels de Genève que le jeune sculpteur Edouard-Marcel Sandoz a pu aborder les différents aspects des arts appliqués à l’industrie, par définition conçus comme une pratique de l’objet d’art en multiples. Cette formation, complétée par celle des Beaux-Arts de Paris lui a permis de comprendre « qu’avec un même dessin, on peut entrer dans tous les domaines » et dans tous les matériaux. Tout au long de sa carrière prolifique, Sandoz a accordé une place prépondérante à la représentation des animaux. Il les étudiait soit dans la nature et les jardins zoologiques de Paris et de Bâle, soit directement dans ses ateliers de Paris et de Lausanne, où il élevait des « modèles » pour les transposer en marbre, en pierres précieuses, en bronze ou en céramique. Bien qu’il ait également conçu de nombreuses figurations humaines, sa complicité avec le monde animal se révèle très tôt, au Salon parisien de 1910, où sa ...
... formation classique fait de lui, aux yeux des critiques et du public, « un nouveau Barye » en référence au sculpteur-animalier star du XIXème siècle.
Edouard-Marcel Sandoz s’est particulièrement intéressé au monde sous-marin et aux poissons, l’un de ses sujets de prédilection. En 1923, alors qu’il est nommé administrateur de l’entreprise familiale de bio-chimie Sandoz S.A., il passe plusieurs mois au Musée océanographique de Monaco, invité par le prince Albert de Monaco, pour étudier les poissons rares. Une étude intitulée Sculptures de poissons d’Edouard-Marcel Sandoz, publiée en 1962 par Emile Schaub-Koch, sous les auspices de l’Académie Institute de Coïmbra au Portugal, met à l’honneur la haute valeur esthétique de son art statuaire et le définit comme « sculpteur de poissons » : « Tout l’art de Sandoz n’est pas dans ses poissons, certes, mais ils sont l’une des escales les plus merveilleuses de son oeuvre et qui lui assure la pérennité » écrit l’auteur, qui a par ailleurs écrit de nombreux autres articles sur l’oeuvre et la personnalité du sculpteur, entre 1938 et 1952. En 1993, le Catalogue raisonné de l’oeuvre d’Edouard-Marcel Sandoz a été établi par l’expert parisien Félix Marcilhac, publié aux Editions de l’Amateur. Il recense plus de 280 modèles au chapitre des poissons d’eau douce ou de haute-mer (du n°1326 au n°1606bis, pages 476 à 513).
Porcelaine de Paris, le renouvellement d’une ancienne manufacture au coeur des années 20.
Porcelaine de Paris est une société française de manufacture de porcelaine, fondée en 1822, qui s’est inspirée des grandes manufactures parisiennes de porcelaines du XVIIIème siècle. Au XXème siècle, Robert Bloch (1895-1983), entré à la manufacture en 1920, en devient Président de 1926 à 1961, puis administrateur. C’est lui qui va guider cette maison vers la modernité, pendant la grande crise des années 30, aidé dans la partie artistique par son épouse Simone van Moppès (1898-1975), qui avait été, avant son mariage en 1921, décoratrice-stagiaire dans l’atelier de Robert Mallet-Stevens. Elle va collaborer à la création d’une collection Art-Déco pour la manufacture, présentée avec succès lors de la grande Exposition des Arts Industriels de 1925. Elle contribuera ensuite à l’affirmation du style moderne de la maison, de 1934 à 1940, en dessinant après-guerre de nombreuses collection, jusqu’en 1965. Les archives de Porcelaine de Paris révèlent qu’à partir du 10 juin 1922, la manufacture constitua un fond important de soixante-six modèles dûs à Sandoz. Quarante d’entre eux furent fabriqués pour figurer à la grande Exposition de 1925. Un modèle de grande taille du « Poisson-Chat » est reproduit dans l’ouvrage Trois siècles de Porcelaine de Paris (par Michel Bloit, préface de Maurice Rheims. Editions Hervas, 1988, p.119). Il figure au catalogue de l’Exposition (planche 62, classe 11, Accessoires du Mobilier) avec une autre sculpture célèbre de même dimension (50 cm), le « Chat Assis ». Le « Poisson-Chat » fut quant à lui sélectionné par le Musée de Arts décoratifs, rue de Rivoli à Paris, pour ses collections permanentes. Les deux sculptures « Poisson-Chat » et « Chat Assis » furent fabriquées jusqu’en 1935, avec le nom de Sandoz en creux ou en relief, et la marque « Porcelaine de Paris » à la vignette en bleu sous émail. Une version en terre cuite et une autre en porcelaine teinté crème ont également été réalisées, mais sans marques.
La mention d’une épreuve d’un vase « Silure » beaucoup plus petite (H.12 x l. 12 cm) éditée en porcelaine émaillée blanc par Porcelaine de Paris (PDP 59-1925/9), « du 1er septembre au 31 décembre 1926 » (ref. 811), donc juste après l’Exposition des Arts Industriels de 1925, est confirmée et reproduite par Félix Marcilhac dans le Catalogue raisonné de l’artiste (p. 541). Notre grande version non numérotée serait donc vraisemblablement une version d’exposition, comparable à celle de l’Exposition de 1925. Aucun autre exemplaire de cette dimension n’est connu à ce jour en porcelaine émaillée de couleur. Elle est exceptionnelle tant par sa taille, par la complexité technique évidente du moulage réalisé - avec tant de courbes et contre-courbes, des extrémités aussi fines et déliées - rare enfin par sa teinte crème très subtile, mettant parfaitement en lumière la fluidité de la forme, le raffinement de son dessin et la précision de sa figuration stylisée.
