Par Stéphane Renard Fine Art
Gouache sur vélin tendu sur une plaque de cuivre
150 x 190 mm (encadré 22.5 x 27 cm)
Cadre en bois doré et sculpté d’époque Louis XIII
Cette miniature de cabinet est un véritable tour de force artistique : dans un espace de quelques centimètres, l’artiste parvient à rendre tout à la fois Narcisse qui se mire dans l’eau au premier plan et la profondeur des plans successifs. Le parcours d’Henri Gascar, peintre actif des deux côtés de la Manche, pourrait expliquer la forte influence des miniaturistes anglais dans cette pièce exceptionnelle, qui, selon nous, nous présente un portrait historié de Louis de France, le Grand Dauphin, peu avant son mariage.
1. Henri Gascar, un artiste cosmopolite dans la deuxième moitié du XVIIème siècle
Peu d’éléments sont connus sur la vie d’Henri Gascar. Il naît à Paris en 1635 dans une famille d’artiste : son père Pierre Gascar est également peintre et sculpteur et assure probablement sa première formation. ...
... Après un séjour à Rome vers 1659, Henri Gascar se spécialise dans les portraits.
En 1674, il part pour l’Angleterre, probablement à la demande de Louise de Keroualle, duchesse de Portsmouth, la maîtresse préférée du roi Charles II. Le patronage de cette grande dame et le style flamboyant de Gascar, caractérisé par le rendu somptueux des étoffes et des bijoux assurent son succès à la cour des Stuart, où il demeure jusqu’en 1679.
De retour à Paris après un séjour aux Pays-Bas, il est reçu à l’Académie Royale en 1680. Grand voyageur, il se rend à Modène (en 1681), à Venise (en 1686), en Pologne (en 1691) avant de s’installer à Rome où il réside jusqu’à sa mort le 1er janvier 1701.
Henri Gascar aurait également pendant son séjour en Angleterre été l’un des premiers graveurs à pratiquer la mezzotinte, ou manière noire. Un certain nombre de gouaches sur vélin présentées récemment en vente lui sont également attribuées, démontrant la diversité des médiums qu’il pratiquait.
2. Description de l’œuvre
Cette gouache constitue selon nous un « portrait historié », c’est-à-dire un portrait représentant un individu sous les traits d’un personnage historique, biblique ou mythologique.
Un jeune homme, le torse revêtu d’une sorte de cuirasse est allongé le long d’une pièce d’eau dans laquelle il se mire. Accoudé dans l’herbe, il repose sa tête sur son bras gauche alors que sa main droite est légèrement levée, comme pour saluer l’image de lui-même qu’il contemple.
La fleur de narcisse située à l’extrême droite nous donne la clé de cette représentation et permet d’identifier le modèle mythologique comme Narcisse, le jeune chasseur d’une grande beauté tombé amoureux de son image.
La technique est particulièrement impressionnante puisque l’artiste arrive à rendre non seulement le détail de l’anatomie du modèle sous la cuirasse moulante, mais aussi le reflet de son corps allongé, déformé et légèrement estompé dans l’eau. La technique très particulière qui repose largement sur l’usage de traits verticaux plus ou moins larges sur un fond clair évoque l’art d’un graveur et peut faire penser que l’artiste avait une expérience de graveur. Raffinement supplémentaire, le bord de la cuirasse vraisemblablement exécutée à la poudre de lapis, est légèrement rehaussé d’or.
Alors que des rochers géométriques, suivis d’un bosquet d’arbres occupent l’arrière-plan sur la droite, à la gauche de la composition s’ouvre un horizon bleuté dans lequel on découvre, au-delà d’une rivière, une île sur laquelle déambulent deux bergers accompagnés d’animaux, et, au-delà d’un nouveau bosquet, les contours d’une ville.
3. Un portrait du Grand Dauphin ?
Une inscription au dos de la plaque de cuivre identifiait le modèle de ce portrait historié comme Philippe d’Orléans, le futur Régent. Evoquant par sa magnificence un personnage princier, nous pensons que cette gouache a été exécutée vers 1679-1680, lors du séjour à Paris d’Henri Gascar. Philippe d’Orléans était à cette époque-là âgé de 6 ans tout au plus, et les portraits que nous avons de lui le représentent très brun ; ces deux éléments nous semblent incompatibles avec cette identification.
Une proposition qui nous semblerait plus vraisemblable serait de voir dans ce portrait celui de Louis de France (1661 – 1711) également appelé le Grand Dauphin. Les traits représentés dans notre gouache correspondent assez bien à la description du Grand Dauphin qu’en faisait le mémorialiste Saint-Simon « Monseigneur était plutôt grand que petit, fort gros, mais sans être trop entassé, l’air fort haut et noble, sans rien de rude […]. Il était d’un fort beau blond, avait le visage fort rouge de hâle partout, et fort plein, mais sans aucune physionomie ; les plus belles jambes du monde ; les pieds singulièrement petits et maigres. »
Le choix du personnage de Narcisse pour un portrait historié peut surprendre au premier abord. Louis de France épouse le 7 mars 1680 Marie-Anne de Bavière ; le choix de son épouse avait constitué une affaire d’état. Si l’on fait l’hypothèse que ce portait représente Louis de France avant son mariage, on pourrait esquisser une explication du choix de cette représentation allégorique. A l’instar de Narcisse, Louis de France se révèle être, en grandissant, d’une beauté exceptionnelle qui attire de nombreuses prétendantes. Narcisse contemplant sa propre image devient ainsi la représentation d’une quête introspective du jeune homme, recherchant, à travers la beauté, le sens profond de son existence.
Il est intéressant de remarquer en bas à l’extrême gauche de la gouache une fleur d’iris dont la forme nous semble être une métaphore de la fleur de lys, emblème héraldique du trône de France, trône auquel est appelé notre jeune dauphin.
4. L’influence des miniatures anglaises, figures de la mélancolie
Au-delà du choix de Narcisse, le fait même de se faire portraiturer allongé sur le sol est peu courant. Il nous semble important à ce propos d’évoquer deux « cabinet miniatures » réalisées respectivement par Nicholas Hilliard (1547 – 1619) et par son élève Isaac Oliver (1565 – 1617) : les portraits d'Henry Percy et d'Edward Herbert. Ils constituent deux sources iconographiques incontournables pour notre portrait et enrichissent l’image de Narcisse d’une dimension mélancolique.
Il nous semble tout à fait plausible que Gascar ait pu avoir accès à ces deux portraits, encore conservés chez les descendants des modèles, lors de son séjour à la cour des Stuart. Au-delà de l’apport formel, la référence à ces miniatures enrichit la symbolique de Narcisse d’une dimension mélancolique, qui nous parait tout à fait adaptée pour le portrait d’un jeune prince de l’âge classique. Le Prince n’est-il pas comme l’écrivait Walter Benjamin le paradigme du mélancolique ? Et, comme l’écrivait Pascal : « La dignité royale n’est-elle pas assez grande d’elle-même pour rendre celui qui la possède heureux par la seule vue de ce qu’il est ? »
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