Par Stéphane Renard Fine Art
36.5 x 62.5 cm (encadré 57 X 82.5 cm)
Provenance : acheté à Rome par Mr Mangin, fonctionnaire Français en poste à Rome (numéro 39 de sa vente)
Gaspard Dughet nous propose ici une vision idyllique de la campagne romaine. Les plans se succèdent dans une composition parfaitement structurée, révélant ici un lac, là des voyageurs qui cheminent, amenant progressivement notre œil jusqu’à l’horizon bleuté. Mais derrière sa composition classique, ce paysage nous paraît surtout intéressant par trois détails anthropomorphes que l’artiste y a caché, ouvrant la voie à une interprétation radicalement différente …
1. Gaspard Dughet, un paysagiste dans la lumière de Poussin
Gaspard Dughet nait le 4 juin 1615 à Rome où son père, d’origine française, est pâtissier-cuisinier. Il fut vraisemblablement prénommé Gaspard en l’honneur de son parrain le baron Gaspard de Morant, qui était ou avait peut-être été l’employeur de son père. Sa sœur aînée ...
... Jeanne épouse le 1er septembre 1630 le peintre Nicolas Poussin (1594 – 1655) chez qui le jeune Gaspard rentre en apprentissage au début de 1631, ce qui amène son entourage à le designer du nom de Gaspard Poussin. Les premières œuvres conservées du peintre datent des années 1633-1634 et ont été peintes dans l’atelier de son beau-frère.
Vers 1635 Gaspard Dughet s’émancipe et commence à fréquenter le cercle des Bamboccianti. Il se lie en 1636 avec le peintre Jean Miel (1599 – 1656), mais aussi avec Pier Francesco Mola (1612 – 1666) et Pierre de Cortone (1596 – 1669).
C’est également le temps de ses premiers voyages en Italie car le peintre bien que d’origine française semble ne s’être jamais rendu en France. En 1646 il se fixe définitivement à Rome. Peintre reconnu au solide carnet de commandes, il sera fidèle pendant toute sa vie à la peinture de paysage, alternant peintures de cabinet et grandes commandes décoratives, tant à l’huile qu’à la fresque.
Cloué au lit par des fièvres rhumatismales dès l’âge de 58 ans, il décède le 25 mai 1675.
2. A la découverte d’un paysage idéalisé
Au-delà d’un premier plan relativement sombre qui nous fait entrer dans le paysage, nous découvrons de vastes horizons bleutés : un plateau entouré de ravins profonds avance vers la droite, surplombant une étendue d’eau qui scintille en contrebas. Une route serpente dans une masse montagneuse comme pour nous conduire vers la forteresse qui la couronne ; une autre ville apparait dans le lointain bleuté au pieds de trois montagnes coniques.
La composition est rigoureuse, minérale, structurée par des volumes géométriques ; les plans s’enchainent attirant le regard vers l’horizon situé au milieu de la toile mais l’impression générale est celle d’une nature accueillante et sereine.
En de nombreux endroits la couche picturale s’est rétractée, ou est devenue transparente, laissant apparaître la préparation rouge sombre dont était recouverte la toile et accentuant les contrastes.
La présence humaine se résume à trois joueurs d’osselet, accoudés à un tertre au premier plan. Leurs longs vêtements qui peuvent évoquer des toges romaines contribuent au caractère intemporel de la scène.
Un examen attentif de la toile révèle deux autres voyageurs sur le chemin serpentant entre les rochers. Rendus minuscules par l’éloignement, leur introduction dans le registre médian, typique de l’art de Dughet, permet de rallonger la perspective.
Alors qu’il est mal aisé de dater précisément l’œuvre d’un peintre qui s’est consacré toute sa vie durant à la représentation de paysages, il est certain que ce tableau est une œuvre de sa maturité. Les arbres qui occupaient le premier plan de ses compositions de jeunesse ont été relégués sur les côtés, une étendue d’eau nous sépare des montagnes arides que deux arbres viennent équilibrer sur la rive opposée. L’introduction de cette étendue d’eau au milieu du paysage trahit l’influence des Bolognais et en particulier du Dominiquin (1581 – 1641)
Un certain nombre de similitudes avec un dessin conservé au British Museum pourrait suggérer une datation vers 1656-1657, puisque celui-ci a été rapproché du Paysage à la Madeleine Repentante du Prado, peint au cours de ces deux années selon Marie-Nicole Boisclair .
3. Trois étonnants détails anthropomorphes
Alors que certains paysages de la fin de la Renaissance offrent une double lecture radicale, permettant de voir à la fois un visage ou un corps humain derrière la représentation d’un paysage, il nous semble intéressant de faire l’hypothèse que Gaspard Dughet s’est amusé ici à glisser quelques détails qui pris isolément évoquent des figures humaines ou animales.
Nous donnerons ainsi trois exemples, en regardant attentivement un nuage, le tronc d’un arbre brisé et le haut d’une falaise.
Le nuage principal pourrait ainsi évoquer un visage christique ou celui d’un dieu de l’antiquité, Jupiter barbu et débonnaire. Le tronc cassé sur la droite (présenté ici après un pivôt de 90 degrés vers la gauche) évoquerait plutôt la caricature d’un vieillard, un personnage infernal, la barbe taillée en pointe. Et l’on peut enfin s’interroger sur une possible tête de chien sur la falaise au pied duquel serpente le chemin.
Ces éléments nous semblent avoir d’abord été introduits par le peintre pour pimenter la curiosité du spectateur et encourager les discussions au sein d’un cabinet d’amateur.
Nous aimerions toutefois suggérer une autre hypothèse de lecture, qui permettrait de donner au tableau une symbolique globale, celle d’une méditation sur le sens de la vie. Les trois joueurs d’osselet au centre du tableau pourraient ainsi symboliser les hasards de la vie, à travers la jeunesse (le personnage du centre), l’âge mur (sur la droite) et la vieillesse (sur la gauche). Alors que le renflement des pierres à l’extrême gauche évoque quelque urne funéraire, et donc la mort, la figure caricaturale cachée dans l’arbre évoquerait une face infernale. Mais les deux personnages au pied de la montagne nous indiquent qu’un passage sur l’autre rive est possible, au-delà de l’étendue d’eau située au milieu du tableau qui évoque le Styx ou l’Achéron, le fleuve qu’il nous faudra traverser après la mort. Ces deux personnages sont engagés sur un chemin dont le but est encore inconnu, caché par de hautes montagnes. La figure du chien intervient comme une défense symbolique de cet éden invisible vers lequel ils se dirigent, sous le regard d’un Dieu bienveillant qui domine la composition.
Le tableau est présenté dans un cadre italien néo-classique du début du dix-neuvième siècle avec lequel il a sans doute été acheté par un fonctionnaire Français basé à Rome au milieu du XIXème siècle (selon une étiquette très dégradée placée au dos du cadre).
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