Par Stéphane Renard Fine Art
Provenance : Collection Henri Cain (vendue à Paris le 19 novembre 1927 – numéro 16)
Bibliographie : ce tableau est référencé comme une œuvre autographe dans le catalogue raisonné des œuvres du peintre établi par Emile Dacier (numéro 640 - Tome II page 113)
Il faut souligner (car c’est excessivement rare pour les peintures de cette époque) que ce tableau présente sa toile d’origine, non doublée, et que celle-ci est également présentée sur son châssis originel, dont on peut penser qu’il a été « bricolé » par Saint-Aubin lui-même.
Gabriel de Saint-Aubin, le grand chroniqueur du règne de Louis XV, nous emmène dans ce tableau assister au défilé annuel des Gardes Suisses à la plaine des Sablons. Il nous présente une image d’une grande puissance cinétique, comme prise sur le vif en marge du défilé.
1. Gabriel de Saint Aubin, un chroniqueur de génie
Gabriel de Saint-Aubin nait le 14 avril 1724 dans une famille d’artistes : son père ...
... Gabriel-Germain (1696-1756) est brodeur du Roi et ses six frères et sœurs qui survivront (Charles-Germain (né en 1721), Catherine-Louise (en 1727), Louis-Michel (en 1731), Athanase (en 1734), Augustin (en 1736) et Agathe (née en 1739)) seront également artistes.
Gabriel est d’abord formé au dessin par son père puis avec Etienne Jeaurat (1699 -1789), Hyacinthe Colin de Vermont (1693 – 1761) et François Boucher (1703 – 1770). Il enseigne à son tour le dessin à l’école de l’architecte François Blondel et réalise ses premières gravures, généralement à l’eau-forte, vers 1750. Les 52 estampes qui composent son œuvre gravée ont généralement été tirées à très petit nombre mais constituent par leur inventivité un des sommets de la gravure française du XVIIIe siècle.
Candidat malheureux au Prix de Rome de 1752 à 1754, il s’éloigne de l’Académie Royale et expose à l’Académie de Saint-Luc en 1774 et au Salon du Colisée en 1776.
La renommée de Gabriel de Saint-Aubin repose aujourd’hui principalement sur son œuvre graphique. Observateur impénitent de la société de son temps, il en croque avec vivacité les scènes et les amusements. Cette fécondité créatrice a d’ailleurs été qualifiée par son contemporain le peintre Jean-Baptiste Greuze de « priapisme du dessin ». Son immense dextérité lui permet même d’ébaucher pendant les ventes aux enchères auxquelles il assiste des vignettes représentant les œuvres vendues, saisies en marge des catalogues de vente. Ces croquis nous permettent aujourd’hui d’identifier bien souvent les œuvres qui y étaient présentées.
Les peintures de Gabriel de Saint-Aubin sont la partie la moins connue de son œuvre, bien qu’il en subsisterait une douzaine (sans parler des aquarelles et des gouaches) selon le décompte établi par Emile Dacier, auxquelles viennent s’ajouter la vingtaine d’originaux perdus connus uniquement par les gravures qui en ont été tirées, ou par des descriptions contemporaines.
2. Les Gardes Suisses, derniers défenseurs de la Monarchie
Bien avant la formation au début du XVIIe siècle du Régiment de Gardes Suisses, les Rois de France ont employé des soldats Suisses pour leur protection personnelle : Louis XI serait ainsi le premier à avoir enrôlé des Suisses en 1481. Cette alliance est renforcée au lendemain de la bataille de Marignan par François 1er, et le contingent Suisse joue un rôle décisif dans la victoire de Cérisoles en 1544. Cent trente-cinq ans après la création des Cent-Suisses, le Roi Louis XIII donne à un régiment d’infanterie suisse le nom de Gardes Suisses. Sa fonction principale est de veiller à la garde du Palais et la sécurité du souverain, aux côtés des Gardes-Françaises.
Le Régiment des Gardes Suisses formé de douze compagnies rassemblait à l’époque de notre tableau environ deux mille hommes logés dans trois casernes : Rueil, Courbevoie et Saint-Denis.
En 1789, les Gardes-Françaises prennent le parti de la Révolution et rejoignent la Garde Nationale. Le 10 août 1792 les Gardes Suisses défendent un Palais vide alors que le Roi est parti se réfugier avec sa famille auprès de l’Assemblée législative. Dépassé par le nombre des insurgés, le corps principal du Régiment bat en retraite après avoir reçu l’ordre de Louis XVI de cesser le feu et de rendre les armes pour éviter un carnage. Sur les 800 à 900 Suisses présents au Palais, environs 300 sont tués au combat et 60 sont ensuite massacrés à l’Hôtel de Ville après s’être rendus.
3. Description de l’œuvre
Le Défilé des Suisses était présenté dans la vente Henri Cain avec une autre œuvre d’un sujet et d’une taille proche Les Gardes Françaises à la Parade, dont la localisation actuelle est inconnue.
Alors que la plupart de ses autres peintures représentent soit des sujets mythologiques, soit des scènes de genre, Gabriel de Saint-Aubin nous donne ici l’image spontanée d’un événement qui faisait se déplacer les foules : le défilé du Régiment des Gardes Suisses, devant le Roi. Ce défilé avait lieu chaque année dans la plaine des Sablons à Neuilly (entre l’actuelle Porte Maillot et le Pont de Neuilly). On reconnait d’ailleurs en arrière-plan l’évocation du Mont-Valérien.
Le peintre Gabriel de Saint-Aubin égale ici la spontanéité du dessinateur en utilisant une gamme chromatique très resserrée, évoquant la poussière soulevée par le défilé.
Précédé de quatre tambours, le Capitaine commandant la Compagnie marche en tête, suivie d’une rangée de cinq officiers. Une silhouette à cheval en arrière-plan représente peut-être le Roi, ou le lieutenant général commandant la Garde (le baron de Bésenval) mais toute l’attention est portée sur les Gardes Suisses et sur la représentation de leurs uniformes de parade : culotte à la française de couleur blanche, veste rouge aux revers bleu foncé ornés de parements de broderie blanche. Les bonnets d’ours indiquent qu’il s’agit de la compagnie des grenadiers, car les autres gardes portaient un tricorne.
Ce détail nous donne une indication sur la chronologie de l’œuvre puisque c’est en 1766 qu’une compagnie de grenadiers est adjointe au Régiment. Il est donc légitime de penser que c’est également cette année-là que Saint-Aubin choisit de représenter cette unité nouvellement créée, même si une date ultérieure est également possible.
Alors que les officiers sont bien identifiés, dans les trois autres rangées de grenadiers seul est représenté le premier de la rangée. La masse compacte des autres grenadiers est simplement évoquée par une touche que l’on pourrait qualifier avec anachronisme d’impressionniste. Les détails se dissolvent alors que l’on remonte le rang, et la présence individuelle de chaque grenadier n’est plus évoquée que par la pointe de son fusil à baïonnette, avant que celle-ci ne se fonde à son tour dans l’arrière-plan.
Saint-Aubin s’amuse à fixer l’instant dans lequel toute la Compagnie a la jambe droite levée, et cette position par essence instable crée une grande mobilité dans la représentation, mobilité renforcée encore par la technique picturale dans laquelle la masse des soldats n’est qu’évoquée.
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