Joseph se fait reconnaître à ses frères, étude préparatoire de Pier Francesco Mola

... Francesco Mola, peintre de la Rome baroque

Pier Francesco Mola naît à Coldrerio, dans le Tessin près de Lugano le 9 février 1612. Son père Giovanni Battista est un architecte reconnu et la famille s’installe à Rome dès 1616, où Pier Francesco effectuera une grande partie de sa carrière.

Formé dans l’atelier du Cavalier d’Arpin (1568 – 1640) et de Domenico Zampieri, dit le Dominiquin (1581 – 1641), Mola réalise deux voyages en Italie du Nord qui l’amènent à séjourner à Bologne et à Venise, avant de revenir s’établir définitivement à Rome.

Si Joseph se fait reconnaitre à ses frères constitue sa principale fresque, Pier Francesco Mola est également un peintre de tableaux de chevalets important. Figure dominante du courant néo-vénitien à Rome, il cherche à concilier l'esthétique bolonaise et le coloris vénitien. Il collabore parfois avec Gaspard Dughet, et se révèle également à la fin de sa vie (1660-1666) comme un grand paysagiste se rattachant au milieu classique franco-romain.

Son œuvre graphique a toujours été recherchée, en particulier outre-manche, comme le démontre la provenance ancienne de la feuille que nous présentons. Elle provient d’une des plus prestigieuses collections formées en Angleterre dans la deuxième moitié du XVIIIème siècle, celle du peintre Sir Joshua Reynolds (1723 – 1792).

2. Description de l’œuvre

Pier Francesco Mola déploie ici toutes les facettes de son talent et en particulier sa façon tout à fait spécifique d’incorporer des personnages dans un paysage luxuriant. Notre étude est centrée sur les figures de Joseph et de Benjamin, relatant le moment où celui-ci « se jeta au cou de son frère Benjamin et pleura » (Genèse 45-14).

Cet épisode clôt l’histoire de Joseph, vendu par ses frères à des marchands qui l’emmènent en Egypte, où il devient l’homme de confiance de Pharaon, en interprétant ses songes. Grâce à lui Pharaon constitue des stocks de provisions pendant les sept années d’abondance qui lui permettent de nourrir son peuple pendant les sept années de disette. Les frères de Joseph affamés viennent une première fois lui acheter du grain et reviennent une deuxième fois avec Benjamin, le frère cadet de Joseph, à sa demande insistante. C’est le moment que choisit Joseph pour se faire reconnaître à ses frères, témoignant d’une tendresse toute particulière pour Benjamin, le seul autre fils de sa mère.
Alors que Joseph s’élance vers lui avec fougue, Benjamin semble plus réservé quand il s’avance vers Joseph, suggérant peut-être ainsi que c’est celui qui pardonne qui doit faire le premier pas. « Benjamin aussi pleura à son cou » ajoute la Genèse et ces pleurs sont évoqués par son bras gauche replié comme pour cacher ses larmes.

La technique complexe de cette étude la porte à la frontière entre le dessin et la peinture, grâce en particulier aux rehauts de blancs de céruse qui donnent beaucoup de vie aux deux personnages principaux, et aux lavis très fluides, comme par exemple dans la représentation du bosquet d’arbres sur la droite.

3. Une longue maturation créatrice

La galerie du Palais du Quirinal est une des grandes commandes du pontificat d’Alexandre VII. Elle fut confiée à Pietro da Cortona en 1655, à charge pour lui de réunir un groupe d’artistes pour mener à bien ce programme décoratif.

De très nombreux dessins préparatoires subsistent pour cette fresque, reflétant l’importance de cette commande pontificale pour Pier Francesco Mola. Dans son livre paru en 1972, Richard Cocke dénombre ainsi 12 études préparatoires connues. Notre dessin conservé alors dans des collections privées n’a pas fait à ce jour l’objet d’études d’historiens de l’art mais nous verrons, en nous focalisant sur l’évolution du personnage de Joseph, qu’il doit s’agir d’une toute première pensée, exécutée avant celui conservé au British Museum (9ème photo de la galerie) qui était considéré par cet historien de l’art comme le plus ancien dessin de la série.

Dans cette composition inversée par rapport à notre dessin nous retrouvons les trois figures formées par Joseph, Benjamin, devenu ici un jeune adolescent, accompagné par un des frères dont le bras équilibre, comme dans notre dessin, celui de Joseph.

Ce frère est désormais représenté debout et non assis, conférant ainsi plus de dynamisme à la composition. Ici, comme dans notre étude, Mola nous présente Joseph courant pour saluer Benjamin dans un geste intime et personnel qui n'inclue pas ses autres frères.

L’étape suivante de l’évolution de la composition nous est présentée dans une étude conservée au Museum Kunstpalast de Düsseldorf (10ème photo de la galerie) dans laquelle Mola représente Joseph les bras ouverts, incluant ainsi tous ses frères dans la salutation qu’il leur adresse.

Les études préparatoires suivantes sont entièrement consacrées à l’agencement complexe du groupe des frères. Dans la composition définitive (dernière photo de la galerie), ce groupe est désormais scindé en deux parties : six d’entre eux sont représentés agenouillés, dans une position pleine de déférence. Benjamin se retrouve lui debout les bras croisés au deuxième plan, devant quatre autres de ses frères qui sont également debout. Il est également intéressant de constater que cette composition définitive réintroduit de manière assez importante l’élément végétal puisque nous sommes désormais dans une cour bordée d’une balustrade au-delà de laquelle s’ouvrent de luxuriant jardins, dont les arbres ne sont d’ailleurs pas sans rappeler ceux figurant dans le bosquet droit de notre étude.

4. Encadrement

Nous avons choisi pour ce dessin un cadre italien de la deuxième moitié du XVIIème siècle dont les branches de lauriers sculptées et dorées, réunies par des rubans placés au milieu de chaque côté du cadre, s’accordent avec le « grand style » de notre dessin.

Principales références bibliographiques :
Richard Cocke – Pier Francesco Mola – Clarendon Press – Oxford 1972
Francesco Petrucci - Pier Francesco Mola (1612 – 1666) Materia e colore nella pittura del’ 600 – Ugo Bozzi Editore – Roma 2012