Par Stéphane Renard Fine Art
Ce somptueux plat, inspiré des bellas de la Renaissance italienne, est un témoignage de la fructueuse coopération entamée en 1882 entre le céramiste Théodore Deck et le jeune artiste Paul Helleu, avant que celui-ci ne devienne le portraitiste à la mode des élégances féminines. Ce portrait, vraisemblablement réalisé d’après une photo, pourrait être inspiré du visage d’Alice Louis-Guérin, celle qui deviendra sa femme en 1886.
1. Paul Helleu
Comme l’écrivait Robert de Montesquiou en 1913 dans son livre consacré au peintre « Helleu est né à Vannes en 1859, d’un père breton et d’une mère parisienne ». Il ne connaît guère son père, décédé alors qu’il avait trois ans, et est élevé entièrement par sa mère qui l’envoie en 1873 poursuivre ses études au Lycée Chaptal à Paris.
La découverte au Salon de 1874 du Chemin de Fer d’Edouard Manet serait à l’origine de sa vocation artistique. Il travaille contre l’avis de sa mère dans ...
... l’atelier du peintre Gérôme, fréquenté également par les peintres Giovanni Boldini, Jean-Louis Forain ou Antonio de La Gandara. Helleu se lie avec John Singer Sargent, avec qui il va pendant quelque temps partager un atelier ainsi qu’avec Claude Monet (1840 – 1926) et Jacques Blanche (1861 – 1942), qui l’accompagne dans un séjour en Angleterre au cours duquel il rencontre les peintres Whistler et James Tissot.
Alors que sa mère lui coupe les vivres pour le détourner du métier de peintre qui lui semble peu convenable, Helleu travaille pour payer ses études à l’Ecole des Beaux-arts dans l’atelier du céramiste Théodore Beck où il décore de bustes féminins des médaillons de céramique ornementaux.
En 1884, le ménage Louis-Guérin lui commande le portrait de leur fille Alice âgée de 14 ans, portrait qui figurera au Salon de 1885 . Helleu tombe amoureux fou de son modèle et souhaite l’épouser ; les parents consentent à ce mariage mais avec trois conditions ; qu’il ait lieu quand Alice aura 16 ans révolu (!), qu’elle termine ses études et que les jeunes mariés habitent pendant deux ans chez eux.
A partir de 1886 s’enchaînent les événements heureux et les succès de peintre : son mariage, suivi de la naissance de sa première fille Ellen en 1887, les participations aux Salon des pastellistes et la première exposition de ses pointes sèches à New York en 1889. Son amitié avec Robert de Montesquiou rencontré en 1887 lui ouvre les portes de l’aristocratie parisienne et il réalise en 1891 une série de portraits de sa cousine la Comtesse Greffulhe, avant de rencontrer, également grâce à Montesquiou, Marcel Proust en 1895. Celui-ci s’inspirera beaucoup d’Helleu pour le personnage du peintre Elstir dans A la Recherche du Temps Perdu, personnage dont le nom serait d’ailleurs une savante alchimie entre les noms d’Helleu et de Whistler.
Helleu est alors au sommet de son art et multiplie les portraits féminins, alternant entre pointe sèche, pastels, dessin aux trois crayons dont la technique est inspirée par celle de Watteau, et peinture à l’huile. Les commandes pour ces portraits féminins affluent tant de la société parisienne que d’Angleterre et des Etats-Unis, permettant au peintre de choisir ses modèles.
Doté grâce à ses succès d’une certaine aisance financière, Helleu devient un véritable dandy et peut s’adonner à sa passion pour le yachting. Ses goûts en matière de décoration intérieure auront une influence durable.
La première guerre mondiale porte un coup fatal au monde dont Helleu avait été un des portraitistes les plus emblématiques et son activité pendant et après la guerre est fortement réduite, alors qu’il n’arrive pas à réinventer son art pour séduire un nouveau public. Helleu décède le 23 mars 1927 après avoir vu disparaître la plupart de ceux qui avaient le plus compté dans sa vie : Montesquiou en 1921, Proust en 1922, Sargent en 1925 et enfin Monet en 1926.
2. Théodore Deck et sa collaboration avec Helleu
Fils d’un teinturier en soie de Guebwiller, Théodore Deck entre en 1841 chez le maître poêlier Hügelin à Strasbourg et arrive à Paris en 1847, après un long voyage en Allemagne, Autriche et Hongrie. Il est embauché comme contremaître en décembre 1851 par la veuve Dumas, fille du Faïencier Vogt pour lequel il avait travaillé à son arrivée à Paris. En 1858 il crée avec son frère son entreprise spécialisée dans les revêtements de poêles. Le succès de leurs affaires leur permet de se lancer rapidement dans la céramique pour le revêtement des bâtiments et dans les pièces de forme.
Les frères Deck font alors souvent appel à des artistes pour décorer des plats, des carreaux ou des plaques, divisant le produit de la vente en deux parts équitables. C’est ainsi qu’en 1882 Paul Helleu, privé des subsides de sa mère, commence une collaboration qui durera vraisemblablement au moins jusqu’à son mariage en 1886, voire (selon le peintre Blanche) pendant une dizaine d’années.
Les pièces que nous avons pu retrouver (le catalogue raisonné en ligne de l’œuvre d’Helleu pour les céramiques n’est pas encore disponible) représentent généralement des bustes de femme qui se détachent sur un fond coloré de couleur vive. Les costumes sont souvent inspirés de la Renaissance, et il nous semble que ces pièces sont un lointain écho des bellas réalisées par les faïenciers italiens de la Renaissance.
Théodore Deck devient en 1887 directeur de la Manufacture Nationale de Sèvres et laisse à son frère la direction de l’entreprise qui périclite et ferme quelques années après sa mort en 1891.
3. Description de l’œuvre
Helleu nous représente ici une très belle femme, de face, les yeux perdus dans le lointain. Sa coiffure légèrement asymétrique est ornée d’une fleur. Elle a autour du coup un ruban de velours bleu sombre qui se détache sur le bleu céruléen du fond. La gamme chromatique est dominée par ces différents tons de bleu (un ton plus clair pour le corsage, les yeux et la fleur dans les cheveux, un ton franc pour le fond et un ton plus foncé pour le ruban autour du coup) qui sont mis en valeur par le lavis sépia utilisé pour les cheveux et les traits du visage.
Il nous semble vraisemblable que le peintre rend ici un hommage à la beauté d’Alice Louis-Guérin qu’il rencontre en 1884 en réalisant son portrait et épouse deux ans plus tard. Nous savons qu’elle avait des yeux « pervenche » et une abondante chevelure rousse mais c’est surtout cette photo prise le jour de leurs fiançailles (dernière photo de la galerie) qui nous a suggéré ce rapprochement.
Le portrait est signé par l’artiste en bas à droite et Théodore Deck a apposé son cachet au dos du plat.
Principales références bibliographiques :
Sous la direction de Frédérique de Watrigant Paul-César Helleu Paris 2014
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