Par Stéphane Renard Fine Art
Sanguine sur papier – dessin double face
Dimensions : 222 x 193 mm (encadré 47 x 43 cm)
Signé en bas à l’encre « Pesares »
Encadrement : cadre bolonais du XVIIème siècle en bois sculpté et doré
Dans cette étude double face réalisée à la sanguine, Simone Cantarini nous livre une double réflexion sur le thème du Jugement de Salomon. Cette feuille permet d’apprécier son style précis et son sens du détail, qu’il conjugue ici avec un vrai souffle baroque dans la composition.
1. La vie tumultueuse de Simone Cantarini
Simone Cantarini est né en 1612 à Pesaro, dans les Marches, un carrefour pour les artistes de nombreuses régions d'Italie. Cantarini commence sa formation artistique assez jeune, probablement entre 1623 et 1625, dans l'atelier de Giovanni Giacomo Pandolfi (?1570-1640?), un peintre d'œuvres religieuses qui combine le naturalisme local avec le style maniériste de la fin du XVIe siècle. Après un bref séjour à Venise, Cantarini ...
... s'installe dans l'atelier de Claudio Ridolfi (?1570-1644), élève de Paolo Veronese (1528-1588). Vers 1629, Ridolfi quitte Pesaro, obligeant Cantarini à poursuivre seul ses études. Outre les estampes des Carrache, le jeune artiste s'intéresse de plus en plus à Barrocci et à l'art caravagesque, mais très personnel, d'Orazio Gentileschi, qui a exécuté plusieurs œuvres dans les Marches au cours des années 1610.
Comme le raconte Malvasia , l'événement le plus marquant de la jeunesse de Cantarini fut l'arrivée, probablement en 1632, du tableau représentant La Vierge à l'Enfant avec les saints Thomas et Jérôme de Guido Reni (1575-1642) dans la cathédrale de Pesaro (ce tableau est aujourd'hui à la Pinacothèque Vaticane). Non content d'étudier le style de Guido à partir de cette œuvre, Cantarini se rend à l'église San Pietro in Valle, dans la ville voisine de Fano, pour dessiner d'après La remise des clés à Pierre (aujourd'hui au Louvre, à Paris), et l'Annonciation du même artiste. Le jeune Cantarini assimile rapidement le style de Guido et reçoit bientôt d'importantes commandes. Son désir de se rendre à Bologne pour étudier dans l'atelier de Guido se trouve renforcé par une tentative d'assassinat résultant d'exploits amoureux.
À son arrivée à Bologne, probablement en 1634 ou 1635, Cantarini se présente dans l'atelier de Guido comme un peintre sans grande formation. Ses capacités ne tardent cependant pas à se manifester. Bien que Guido reconnaisse que Cantarini est déjà un peintre à part entière, il fait du jeune homme son élève le plus proche et lui confie de nombreuses commandes. Cependant, l'orgueil de Cantarini et sa langue déliée finissent par le rendre insupportable au maître et à l'ensemble de l'atelier. L'un des points de friction est le refus de Cantarini d'utiliser ses talents considérables de graveur pour propager les dessins de Guido, affirmant que les siens étaient tout aussi dignes d'être publiés. La rupture décisive se produit en 1637. À partir de ce moment, les relations de Cantarini avec ses mécènes se détériorent rapidement, au point que les commandes diminuent presque complètement.
En 1639, Cantarini est présent au mariage de sa sœur à Pesaro. C'est sans doute peu après, en 1640 ou 1641, qu'il effectue un bref voyage à Rome où il s’intéresse tout particulièrement à la sculpture antique et aux décorations murales de Raphaël. Après la mort de Guido en 1642, Cantarini retourne à Bologne, où il établit un atelier prospère jusqu'à sa mort en 1648, après un séjour à Mantoue. Son comportement et ses critiques à l'égard de la collection des Gonzague créèrent un scandale et l'on soupçonne qu'il y fut empoisonné par un rival en colère.
2. Le Jugement de Salomon
Cette scène vétérotestamentaire est décrite dans le Premier Livre des Rois (3, 16-28). Deux femmes avaient chacune mis au monde un enfant ; mais l’un des deux nourrissons mourut étouffé. Elle se disputèrent ensuite l’enfant survivant. Pour régler ce désaccord, Salomon réclama une épée et ordonna de trancher l’enfant en deux. L’une des femmes déclara qu’elle préférait renoncer à l’enfant plutôt que de le voir mourir et Salomon reconnut ainsi la véritable mère de l’enfant, à qui il fut confié et qui eut ainsi la vie sauve.
La leçon magistrale de ce jugement est de parvenir à se détacher de l'égalité, en apparence satisfaisante, afin de rechercher la vraie justice. L'apaisement des parties, conséquence d'une vraie justice, repose sur l’analyse des émotions sous-jacentes. La vraie mère garde l'enfant, la jalouse est punie : les mauvaises intentions sont mises en échec, l'amour est récompensé.
3. Description du dessin
Même si les deux scènes nous semblent avoir un intérêt égal, le dessin provient d’un ancien recueil dans lequel il était monté à fenêtre ; la déchirure inégale de ce montage (qui a été conservé) sur la droite nous indique que ce dessin était alors présenté avec la face signée au recto, et nous avons donc gardé cette dénomination, même si le dessin au verso peut sembler plus abouti (et mieux centré !).
La particularité assez fascinante de ce dessin est d’être double face, et de « pivoter » (comme nous allons le voir) autour du personnage de la mère jalouse, qui est représentée de face, les bras tendus vers sa gauche. On retrouve ce même personnage à la gauche du soldat qui tient l’enfant dans la composition au recto de la feuille et à la droite de Salomon au verso.
Il nous semble que ces deux études constituent comme deux moments d’une même narration : dans un premier temps (au verso) les deux femmes se trouvent devant le Roi Salomon, assis sur son trône, le bras tendu dans un geste impérieux. La femme debout est dans une position accusatrice alors que l’autre, dans une position accroupie et un genou à terre est dans une position de supplication pleine d’humilité.
La différence entre la position de ces femmes nous éclaire sur la nature des protagonistes et nous reconnaissons dans ce geste plein d’humilité la véritable mère de l’enfant, prête à tout pour sauver son enfant alors que l’autre mère la calomnie.
Dans la scène représentée au recto, la tête du nouveau-né a remplacé la main de Salomon au centre de la composition. Tenu par une jambe par un soldat représenté en contrapposto, il semble se débattre sous nos yeux.
Toujours agenouillée, la véritable mère est désormais tournée vers le soldat dont elle arrête le bras, jetant en même temps un regard imploré à Salomon situé à sa droite. On ne peut d’ailleurs comprendre le sens de ce regard qu’en référence à la scène précédente (il eût été plus logique qu’elle regardât le soldat), et on peut imaginer que l’artiste ait par ces études cherché l’agencement d’une grande composition dans laquelle ce groupe de deux femmes aux mouvements symétriques se trouverait encadré à sa gauche par le soldat et à sa droite par Salomon.
4. Œuvres en rapport
Nos recherches ne nous ont malheureusement pas permis de retrouver d’autre œuvre de Cantarini traitant du même sujet.
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