Par Franck Baptiste Paris
Importante commode en marqueterie de bois précieux teintés et gravés, bois de rose, amarante, érable sycomore, houx et buis.
Elle ouvre en façade par quatre tiroirs, dont trois sans traverses.
De forme rectangulaire, avec un léger ressaut en façade, elle offre de larges montants à pans coupés, et des côtés lisses avec un discret déport arrière.
Les trois tiroirs centraux sont encadrés d’épaisses lingotières en bronze qui ceinturent le meuble.
Sur un fond d’amarante, la façade présente un registre de trois réserves rectangulaires à la grecque, délimitées par des filets de bois de rose et des rosaces en bronze disposées en écoinçons. Les réserves latérales à décor de trophées suspendus par des rubans, arborent des instruments de musique violon, flûte, tambourin, partition, corps de chasse… en bois finement gravés et teintés sur un fond de bois de houx de couleur tabac.
La réserve centrale est centrée d’un médaillon constitué d’une ...
... guirlande de tores de laurier.
Elle représente une délicate scène bucolique, avec un couple d’amoureux dans un paysage de ruines à l’Antique agrémenté d’angelots, sur un rare fond en sycomore teinté vert et bleu.
Le tiroir du haut arbore une frise en buis, constituée d’enroulements d’acanthes sur un fond de tabac, qui continue sur les panneaux des côtés.
Les pans coupés à arêtes saillantes sont ornés de cannelures en marqueterie, et les côtés présentent des réserves à la grecque centrées de cassolettes à l’antique en bois gravés et teintés.
Riche ornementation de bronzes d’origine, fondus « au sable », finement ciselées et dorés au mercure, dont des entrées de serrures, poignées de tirage à tores de laurier, cornières, cul de lampe en acanthes déployées et importants pieds à enroulements.
Le pied avant gauche porte la marque « Millet » pour Blaise Millet « monteur en bronze » au milieu du XIXème siècle, qui a probablement redoré le bronze.
Plateau d’origine en marbre blanc veiné violet (probablement un carrare arabescato) qui épouse parfaitement le contour du meuble.
Fond et intérieur de tiroirs en chêne.
Bel état de conservation, petites reprises d’usages à la marqueterie.
Les deux montants droits présentent les estampilles adossées de J.H. Riesener* et C. Wolff**.
Travail parisien de la transition des époques Louis XV et Louis XVI, vers 1775-1780, réalisé par Christophe Wolff sous la direction de Jean-Henri Riesener.
Dimensions :
Largeur : 127 cm ; profondeur : 66 cm ; hauteur : 90 cm
Notre avis :
L’importante commode que nous présentons est une création collective commanditée par le fournisseur officiel de la couronne, Jean-Henri Riesener, et réalisée par son sous-traitant, Christophe Wolff, ce qui explique la présence de leurs deux estampilles accolées.
Notre meuble est directement inspiré de la commode livrée par Riesener pour le cabinet intérieur du roi Louis XVI à Versailles.
Cette commode, accompagnée de ses deux encoignures, fait partie des premiers meubles livrés pour le jeune monarque après son retour à Versailles en septembre 1774, juste après la mort du roi Louis XV. De forme nouvelle, l’ensemble va connaître un fort succès et marquera un basculement important vers le style Louis XVI. Dès lors, Jean-Henri Riesener connaîtra une notoriété qui dépassera largement les frontières, au point qu’il livrera, en plus de la famille royale, de nombreuses cours européennes. Ne pouvant réaliser lui-même la totalité des commandes, il va sous-traiter une bonne partie de celles-ci, notamment à Charles Herman Richter pour les meubles en acajou, et à ses compatriotes, comme Wolff, pour les marqueteries plus complexes.
Le but de notre commode est d’imiter ce meuble royal, en gardant les caractéristiques qui ont fait le succès de Riesener, notamment la forme imposante « à la grecque », inspirée des temples antiques.
Le ressaut de notre commode est moins galbé, indiquant une production réalisée quelques années après le modèle original, soit dans les années 1775-1780.
Cette forme, alliée à une riche ornementation de bronze (dont des pieds en bronze massif qui dissimulent le bâti) et à la finesse d’un décor en marqueterie polychrome, représente parfaitement le style « Riesener ».
L’ébéniste du roi a probablement fourni les bronzes et le marbre, mais pour la marqueterie, il a fait appel à Christophe Wolff, qui est considéré comme un des plus grands spécialistes en marqueterie florale. Ce dernier est digne de confiance, au point que le prédécesseur de Riesener, Gilles Joubert, lui confia la réalisation du secrétaire livré pour le Dauphin au château de Bellevue en 1759. Si l’ensemble de la marqueterie du meuble est bien de la main de Wolff (on retrouve des décors similaires sur d’autres meubles signés de son fer), on sent vraiment l’esprit de l’ébéniste du roi dans la disposition des différents panneaux. En effet, conformément à la technique du grand maître, Wolff va encadrer ses scènes d’un bois sombre d’amarante et présenter la scène principale au milieu, dans un cadre à la manière d’un tableau, afin d’attirer l’attention du spectateur.
L’imitation va être poussée à son paroxysme avec les rinceaux d’acanthes qui imitent la frise en bronze de la commode royale.
Si le commanditaire de notre meuble ne nous est pas connu, il était forcément un personnage de premier plan pour s’offrir les services de l’ébéniste royal, qui est alors à son apogée. L’absence du poinçon de Jurande « JME » nous oriente d’ailleurs vers un meuble « dispensé » de toutes taxes.
*Jean-Henri Riesener, né en Allemagne, arrive à Paris vers 1755 et entre dans l'atelier de Jean-François Oeben. À la mort de celui-ci, il prend la direction de l'atelier de son ancien maître en épousant la veuve de ce dernier, Françoise-Marguerite Vandercruse puis Oeben, et ce au grand désespoir d'un des autres employés de l'atelier, Jean-François Leleu. Tant que Riesener n'aura pas sa propre maîtrise, il utilisera l'estampille de J.-F. Oeben. Il aura un fils peintre, Henri-François Riesener (1767-1828), élève de David.
Reçu maître en 1768, il est nommé « ébéniste ordinaire du roi » en 1774, et pendant dix ans il fournira la Cour et la famille royale en meubles fastueux de style néo-classique. Il est considéré comme l'un des meilleurs représentants du style transition et achèvera notamment le célèbre bureau à cylindre de Louis XV commencé par Oeben. Parmi ses spécificités, il convient de noter l'utilisation de bronzes dorés d'une très grande finesse ; il est l'un des premiers à dissimuler systématiquement les fixations de ces derniers. Avec l'aide de Pierre-Elisabeth de Fontanieu, intendant du Garde-Meuble, Riesener est celui qui fera évoluer le style Louis XV vers le style Louis XVI. A la fin de carrière, Fontanieu lui reprochera ses prix excessifs.
Après la Révolution française, sa popularité décline et il se retire en 1800.
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