Au XVIIIe siècle, l'influence féminine, jusque–là peu visible face au règne du masculin, s'enracine peu à peu dans le mobilier. Des meubles réservés à un usage typiquement féminin naissent alors à la faveur des règnes de Louis XV puis de Louis XVI. Au nombre de ces nouveautés, on dénombre la table à ouvrage avec son plateau en forme d'auge, la table gigogne ou encore le bonheur-du-jour.
Crée vers 1760, le bonheur-du-jour s’expose comme un meuble de dame dévolu en tout premier lieu à leur activité préférée : écrire. De là, son utilité se révèlera différente selon le lieu où l’on le placera - bureau et secrétaire dans le salon, chiffonnier ou coiffeuse dans la chambre ou meuble d'exposition – mais il gardera toujours sa valeur féminine. Ce meuble léger – aisé à déplacer - toujours exécuté avec le plus grand soin en dit beaucoup sur l’engouement dont ils furent l’objet.
Dans le domaine artistique, le XVIIIème siècle est marqué par le « règne » de la Marquise de Pompadour. Cette bourgeoise cultivée et intelligente, amie des arts, possède alors un goût moderne, loin des excès du rocaille. En 1748, l’actualité des fouilles archéologiques d’Herculanum et de Pompéi donne le déclic du revirement. On découvre la civilisation antique sous l’angle de la vie quotidienne et non plus de la seule architecture.
L’arrivée du petit salon intime baptisé boudoir donne naissance à de nombreux petits meubles comme la chaise longue, la table à ouvrage ou le chiffonnier. Le bureau de pente, lui, laisse place à un nouveau petit meuble à écrire : le bonheur-du-jour.
Sous Louis XVI, le petit salon se substitue au boudoir ce qui amène les ébénistes à créer des meubles plus petits afin de répondre aux désirs d’une clientèle raffinée. Destinés également aux pièces de dimensions diminuées des appartements intimes où l’on demeure en famille, ces meubles légers, de taille réduite, reflètent, plus que les grands les mœurs et les usages d’une société, les plus éphémères changements de mode. « Les époques de foisonnement des modèles », selon Guillaume Janneau, sont celles « de plus grand éclat de la vie privée : le XVème et le XVIIIe siècle ».
Ainsi, à une époque où de nombreux meubles sont créés pour remplir une utilité propre, le bonheur-du-jour va jouir d’une grande faveur, qui lui donne son nom, alors que nombre de meubles comme le scriban, la table à écrire ou la table liseuse remplissent déjà ce rôle. Avec la table à ouvrage, la table gigogne ou encore la table de cabinet, le bonheur-du-jour va ainsi rejoindre la liste des petits meubles qui surviennent au milieu du XVIIIe siècle à Paris, suivi par l’ensemble des grandes villes européennes.
Table à écrire de petite dimension - ovale ou rectangulaire, le bonheur-du-jour comporte une écritoire constituée par une tablette escamotable et présente au-dessus du plateau un corps supérieur appelé « gradin » pour ranger livres et papiers, qui lui donne son premier nom de « table à gradin ».
Cette table a connu de nombreuses variantes : le plateau gainé de cuir coulisse ou pivote pour écrire, ou s’il est fixe, c’est un tiroir qui lorsqu’il s’ouvre forme écritoire. Le gradin comporte des casiers et tiroirs ou alors c’est une petite armoire à rideau ou à vantaux. Les pieds sont réunis ou non par une tablette d’entrejambe. Le meuble est coiffé d’un marbre ceinturé par une galerie de cuivre, légèrement échancrée sur la façade pour permettre à la personne assise de loger plus commodément ses jambes. Des bonheurs-du-jour servent parfois également de table de toilette et sont équipés à cet effet d’un tiroir avec tout le nécessaire. De très rares modèles prirent la forme « demi-lune ». Quelques modèles possèdent enfin un corps inférieur à battants.
Les modèles de bonheurs-du-jour s’adaptent aux styles en cours – Transition puis Louis XVI. Ils sont en bois précieux – en acajou sous Louis XVI – plaqués et marquetés d’essences exotiques colorées. Ils présentent des travaux d’ébénisteries de belle qualité, et sont ornés de bronzes délicats. Beaucoup de grands ébénistes de l’époque les réalisent et quelques-uns portent même des signatures prestigieuses : Boudin, Carlin, Riesener, Topino ou encore Weisweiler. Après la révolution de 1789, les aménagements des appartements et le mode de vie changent. Considéré comme un modèle superflu, on en exécute encore quelques copies de modèles à succès mais on ne fabrique plus nouveautés.
Parmi les ébénistes de grand talent qui marquèrent le plus la période Transition et contribué à l’évolution du mobilier vers le classicisme, Roger Vandercruse occupe un des tout premiers rangs. D’origine flamande, grand spécialiste du meuble fantaisie, il réalisa une dizaine de tables à gradin tout au long de sa carrière. Sa manière est reconnaissable à sa marqueterie de croisillons et quatre-feuilles dite « à la reine ». Sa première production, à l’époque Louis XV, évolue avec les attributs de l’époque Transition. Il effectue ensuite des modèles Louis XVI d’une grande précision marqué par l’arrivée d’un motif caractéristique, la rosace en hélice.
Etabli à Paris, ouvrier du faubourg Saint-Antoine, Charles Topino, reconnu en France et à l’étranger, attire une nombreuse clientèle de marchands-merciers et de confrères ébénistes. Considéré comme le premier des petits maîtres, sa production se singularise par des œuvres très personnelles et très reconnaissables, qui appartiennent essentiellement aux styles Transition et Louis XVI. Les marqueteries, décorées de vases, de théières, de tasses, jattes, écritoires et divers ustensiles, ou encore des livres et des cartes à jouer constituent les éléments les plus caractéristiques de ses meubles. Elles s’inspirent le plus souvent des bordures de paravents chinois en laque de Coromandel qui emploient ces mêmes motifs. On les trouve sur des petits meubles Transition, pour lesquels Topino marque une nette prédilection, principalement sur des bonheurs-du-jour et sur des petites tables de salon. Parmi les bonheurs-du-jour, quelques exemplaires se présentent sous la forme classique de plan rectangulaire. Un de ces derniers figure chez le duc de Bedford à Woburn Abbey, mais plusieurs sont également passés en vente. Topino innove également avec des bonheurs-du-jour de forme ovale. Un exemple typique de ce type est aujourd’hui conservé au musée des Arts décoratifs. A côté de ces décors originaux, Topino a enfin pratiqué les marqueteries de fleurs et de paysages.
Ebéniste du faubourg Saint-Antoine à Paris, considéré comme l’un des plus grands virtuoses de l’époque Louis XVI, Adam Weisweiler travaille beaucoup pour la cour, par le biais des marchands-merciers, qui lui confient des commandes. Il collabore notamment avec Dominique Daguerre, grand fournisseur de plaques de porcelaine de Sèvres et de Wedgwood pour l’ornementation de nombreux meubles. Sa production illustre le style dit « pompéien ». Elle se compose pour l’essentiel de grandes commodes à vantaux, de secrétaires en cabinet mais aussi de nombreux meubles de petit format : guéridons aux plateaux souvent ornés de plaques de Sèvres, dessertes, consoles, bureaux plats, bonheurs-du-jour et tables à ouvrage. Toutes ses œuvres se distinguent par l’excellence de leur exécution et l’exigence au regard de la qualité des matériaux employés. De nos jours, la majeure partie de ses chefs d’œuvres appartiennent à des musées, principalement anglais ou américains. En France, les musées du Louvre, Cognacq-Jay et Nissim-de-Camondo ainsi que les châteaux de Versailles et de Compiègne conservent de très belles pièces.