La longue histoire qui englobe celle des mentalités, des opinions, des représentations collectives se trouve synthétisée là où la fête se déroule sous le prétexte le plus évident : se nourrir. Cette fête a besoin d’un cadre, d’une mise en scène, donc d’une architecture. Une pièce phare va alors venir garnir la table française : le surtout.
Le surtout qui signifie plus ou moins « montage » est une pièce d'orfèvrerie, le plus fréquemment en console, qui rassemble au centre de la table : salières, boîtes à épices, moutardier, huilier, vinaigrier, sucrier, vases, flambeaux et girandoles. Cette architecture qui accompagne les pièces de vaisselle est parfois conçue par les plus grands orfèvres.
Le terme de surtout arrive dans les dernières années du règne de Louis XIV. Dangeau en use notamment à l’occasion d’un déplacement du roi le 18 mars 1694 : « Le Roi partit à dix heures de Chantilly ; il fait porter son dîner dans un surtout qui suit son carrosse, et choisit pour dîner une maison seule, où on ne l’attend point, pour n’être pas accablé de monde. De même, Louis XIV semble s’être souvent promené en forêt de Marly muni d’un semblable dispositif : Il a un surtout qui va devant, et les officiers le font dîner dans un champ ». La preuve de l’emploi de l’objet est ensuite apportée par l’inventaire général des Meubles de la Couronne sous Louis XIV où est décrite « la vaisselle que le Roy a fait faire en 1694 pour porter en campagne sur un surtout, ainsi que la vaisselle que le Roy a fait faire en 1694 pour mettre dans les deux coffres du carrosse que Sa Majesté a depuis fait servir sur ses surtouts de campagne ». Par surtout, on entend alors la réunion dans un ou plusieurs coffres des ustensiles indispensables à un repas rapide. C’est peu après, en 1698, à l’occasion d’une réception offerte par le duc d’Orléans à l’ambassadeur anglais Portland dans sa demeure de Saint-Cloud qu’est défini pour la première fois le terme de surtout - par le Mercure - dans le sens que nous lui connaissons.
L’arrivée des surtouts de table s’explique par celle du service à la française, service selon lequel, au cours d’un repas, la table est garnie puis débarrassée de tous les mets qui composent chaque service. Seuls les épices et aromates se trouvent alors en permanence sur la table. C’est de là qu’est venue l’idée de les mettre ensemble dans un espace fixe, que l’on signale par une structure aussi décorative qu’utile : le surtout de table. L’orfèvre Nicolas Delaunay livre ainsi pour le service de Louis XIV plusieurs de ces objets.
En France, le repas se déroule selon une règle qui donne toute sa légitimité à l’événement, au fantastique qui l’accompagne et structure celui-ci comme une mise en scène. Au cours des XVIIe et XVIIIe siècles, l’étiquette des repas reflète encore la pyramide sociale : grande table pour le Roi et de plus petites pour les convives réparties selon leur rang. La table s’organise sur plusieurs niveaux où les pièces les plus élevées sont centrées ou disposées dans une volonté de symétrie. De nombreux corps de métiers sont ainsi sollicités pour faire ces pièces parmi lesquels les architectes, les peintres, les sculpteurs, les orfèvres, les porcelainiers ou encore les pâtissiers. Les dessins de tables visibles dans les premières années du XVIIe siècle révèlent une volonté de faire une table pour les mets eux-mêmes. Le goût pour l’ordonnance des objets s’oriente vers une mise en scène géométrique, visible en plan, avec un choix de motifs qui rappellent ceux des jardins. Les objets élevés de la table sont ainsi constitués par des récipients et à diverses hauteurs et des pyramides de fruits ou de sucreries couronnés par une pièce maîtresse : le surtout. Une des principales données de cette architecture repose en effet sur l’existence de quelques pièces « dormantes » comme le surtout, alors que le reste de la table n’est qu’éphémère.
A cette époque, le surtout est aussi l’objet de commandes de souverains étrangers comme la tsarine Catherine Ière à qui plusieurs surtouts sont livrés entre 1725 et 1727.
Sous Napoléon Ier, la composition de la table se présente dans la droite ligne de celle de ses prédécesseurs. Un grand nombre d’éléments propres au XVIIIe siècle sont encore présents, principalement les plaques de verre bordées de galeries métalliques plus ou moins travaillées, parfois interrompues de statuettes, des éléments architecturés ou décoratifs. Ces grandes surfaces contournées occupent le centre de la table et déterminent une zone axiale purement décorative. A cette époque, la manufacture de Sèvres exécute notamment un surtout en biscuit pour le service particulier de l’Empereur, qui campe le Génie des Arts sur un char de triomphe tiré par la Victoire.
Dans les années 1830-1840, on observe un traitement naturaliste des pièces comme le surtout. Les plus grands, dessinés par Chenavard représentent alors des trophées de pêche ou de chasse, des fontaines de végétaux ou encore des animaux. Parallèlement, un style « néogothique » émerge et se diffuse jusqu’aux milieux de table. Sous Napoléon III, les éléments centraux de la table, disposés avec élégance, donnent parfois lieu à sublimes pièces semblables aux monuments publics et aux jardins de l’époque. Les surtouts finissent par disparaître avec l’arrivée du XXe siècle où la table se vide peu à peu et où l’on ne se limite plus qu’au strict minimum.
Au XVIIe siècle, si le surtout, objet de luxe par excellence, est essentiellement réalisé en métal précieux, en porcelaine ou en pierre dure enrichie de bronze pour les princes et les seigneurs, il est d’un usage beaucoup plus large au XVIIIe siècle. On le réalise alors en des techniques moins luxueuses, en bronze argenté ou en doré, en faïence ou même en bois doré aux formes généralement plus simples mais toujours fidèles aux ouvrages des orfèvres. Au XIXe siècle, si le cristal et le verre figurent au nombre des matériaux des objets de table, le métal – argent ou bronze argenté – reste le matériau privilégié pour les pièces principales et les constructions permanentes des tables comme le surtout. Les décors sont très influencés par l’architecture, les motifs placés le plus souvent en frise. Les pieds ou pièces de soutien évoquent alors des coupoles, des temples ou encore des escaliers.
Le surtout est particulièrement employé au cours du dernier service, le dessert. La manière de dresser le fruit, ou le dessert, sur des corbeilles et des jattes, architecture ainsi le moment ultime du repas. L’agencement même du surtout évolue vers diverses formules ; la dispersion organisée d’éléments décoratifs, les architectures périssables ou éphémères ou encore l’allongement horizontal des décors sablés. La première version combine plusieurs éléments sculptés. Elle s’inspire en outre des automates des entremets du Moyen Age. Toutefois en France, le surtout architecturé, qui lasse moins que les figurines, a la préférence. La seconde version a recours aux pâtissiers, car l’engouement pour les décors architecturés est si élevé qu’il s’avère alors plus aisé de faire ces constructions avec des matériaux légers comme la pâtisserie.
Au XVIIe siècle, la figure emblématique est incarnée par Nicolas Delaunay (1646-1727) recensé parmi les plus célèbres orfèvres du règne de Louis XIV. Au XVIIIe siècle, on relève l’extravagance des ornemanistes français tels que Meissonnier, qui se trouve également orfèvre de profession. Il laisse notamment derrière lui plusieurs modèles de surtouts de table d’orfèvrerie gravés aux formes rocaille des plus audacieuses. Ce siècle est aussi marqué par la personnalité de l’orfèvre François-Thomas Germain (1726-1791), spécialisé dans le travail de l’argent ou celle de Jacques Roëttiers qui exécutent tous deux sur le thème de la conception pittoresque. Sous l’Empire, les architectes sont toujours omniprésents et le répertoire des ornements tombe entièrement sous leur influence. Percier et Fontaine dessinent pour les orfèvres et les porcelainiers alors que Denon rapporte des représentations d’édifices égyptiens repris par les ornemanistes attachés aux manufactures.