L’amusement tient une place importante pour les plus riches durant l’Ancien Régime, et notamment au XVIIIe siècle. De nombreux jeux se créent sous les règnes de Louis XV et Louis XVI, qui amènent à la création d’un nouveau mobilier entièrement dédié au jeu. Les Salons des Jeux des demeures se dotent alors de tables de billard et de tables de jeux réunissant les jeux d’échec, de dame ou encore de tric trac. Un meuble sera entièrement dévolu à ce-dernier, la table de tric trac.
Le tric trac (ou trictrac) en lui-même est un jeu de société conçu pour deux joueurs dont le but est de marquer un maximum de points. Il se joue à deux joueurs grâce à des dés, sur un plateau semblable à celui du backgammon. Comme tous les jeux de table, il est très apprécié au XVIIIe siècle par la bourgeoisie, la noblesse, le clergé et à la Cour. Son intérêt réside en ses règles très abouties et par les multiples combinaisons qu’il offre. C’est un jeu complexe, qui demande une attention particulière de la part de tous les joueurs et avec un vocabulaire spécifique.
Héritier des « jeux de table » médiévaux, c’est au XVIIe siècle qu’il est connu sous le nom de « tric trac ». Son usage se développe alors jusqu’à atteindre son apogée au XVIIIe siècle. C’est à cette époque que les différentes tables de jeu se spécialisent, pouvant même servir pour plusieurs jeux grâce à un plateau amovible. Ces meubles deviennent alors de véritables chefs d’œuvres de créativité et d’ingéniosité. La table de tric trac paraît alors être la table de jeu par excellence du milieu du XVIIIe siècle.
Il est courant de voir, à la fin des dîners mondains, des joueurs hommes et femmes se retrouver autour de cette table pour disputer une partie. Il est alors d’usage de parier afin de pimenter davantage le jeu, et les parties durent parfois jusqu’à l’aube. La noblesse est particulièrement adepte de ce jeu, c’est notamment le cas pour Louis XVI et Marie-Antoinette. Après le repas Louis XVI et ses convives ont l’habitude de se rendre au Salon des Jeux pour y prendre le café. Le Roi s’assied alors à une table de tric trac tandis que ses frères jouent au billard ou au whist, autres jeux emblématiques de cette époque. La table de tric trac est disposée dans un salon, entourée de nombreuses autres tables de jeu, de billard et de chaises. Louis XVI apprécie beaucoup ce jeu et ne peut s’en passer, même dans ses périodes les plus noires. Mme Campan nous relate ainsi que pendant dix jours au printemps 1792, le Roi ne parle pas à sa famille tant il est déprimé. Il ne prend la parole que pour les mots essentiels à ses parties de trictrac avec Mme Elisabeth. Louis XVI garde cette passion pour le tric trac jusqu’à ses derniers jours. En effet, il y joue encore avec le Dauphin pendant leur captivité à la prison du Temple. Marie-Antoinette apprécie également beaucoup ce jeu qu’elle pratique régulièrement en compagnie de ses amis dans ses appartements privés du Petit Trianon à Versailles.
Meuble d’une grande beauté, la table de tric trac est plaquée des bois les plus précieux (bois de rose, bois de violette, amarante, ébène, acajou) et ornée de marqueteries et de bronzes dorés finement ciselés et moulurés. La table, dont le plateau rectangulaire repose sur quatre pieds gaines ou galbés, est surmontée d’un couvercle amovible qui peut faire office de table à écrire. Le couvercle peut également être marqueté d’un jeu d’échec sur une face et recouvert d’un drap de velours sur l’autre, servant alors pour divers jeux. Le tric trac proprement dit est marqueté à l’intérieur même de la table, dans une partie centrale évidée. Différents trous dans l’épaisseur de la ceinture servent à recevoir des pions en métal ou en ivoire destinés à marquer les points, mais également des bougeoirs afin d’éclairer les joueurs nocturnes. La table ouvre par deux tiroirs permettant de ranger les trente palets d’ivoire et d’ébène, les dés et les cornets de cuir. Très en vogue sous Louis XV et Louis XVI, ces tables présentent les caractéristiques de ces styles avec des formes courbes ou droites.
De nombreux ébénistes des styles Louis XV et Louis XVI ont produit des tables de tric trac pour faire face au succès de ce jeu et répondre à la demande des plus grands personnages du royaume.
Jean-Henri Riesener est un ébéniste français d’origine allemande, reçu maître en 1768. Nommé « ébéniste ordinaire du Roi » de 1774 à 1784, il fournit la monarchie et la Cour de somptueux meubles des styles Transition puis Louis XVI. Il se fait connaître en 1769 après avoir achevé la création du bureau à cylindre de Louis XV, œuvre commencée neuf ans auparavant par l’ébéniste Jean-François Oeben. Grâce à cette création magnifique, sa réputation auprès de la noblesse et de la haute société est définitivement établie. A la tête du Garde-meuble de la Couronne pendant près de dix ans, ses meubles aux prix excessifs lui soustraient une partie de sa clientèle. Il reste toutefois l’ébéniste préféré de Marie-Antoinette qui lui commande régulièrement de nouveaux meubles. Pour la Reine, il imagine un mobilier gracieux et novateur en délaissant la marqueterie de fleurs au profit d’un simple placage d’acajou. Jean-Henri Riesener crée également des tables de tric trac pour ses riches clients. Celles-ci présentent toujours des formes droites caractéristiques du style Louis XVI mais un décor dépouillé constitué principalement d’un placage géométrique de bois précieux. Les bronzes se font plus fins et discrets, la table gagne alors en élégance et en légèreté. Un très bel exemplaire de table de tric trac créée par Riesener est exposée au Musée Carnavalet.
Guillaume Benneman est un ébéniste français d’origine allemande, reçu maître en 1785 sous le règne de Louis XVI. Il obtient très rapidement une notoriété importante grâce à ses créations de très belle qualité mais beaucoup moins onéreuse que celles du grand ébéniste de ce temps, Riesener. Succédant à ce-dernier à la tête du Garde-Meuble de la Couronne, Guillaume Benneman crée alors un style unifié pour toutes les demeures royales sous la direction d’Hauré. Il exécute alors de nombreuses commandes pour les demeures royales comme pour le Château de Saint-Cloud, très souvent à la demande de Marie-Antoinette. Une très belle table de tric trac exécutée par Benneman vers 1785-1790 se trouve aujourd’hui conservée au Musée des Arts Décoratifs de Paris. Faisant partie d’un ensemble de onze pièces, cette table est le parfait exemple de l’élégance des meubles produits par cet ébéniste. Ses formes rectilignes sont soulignées de légères moulures et de bronzes dorés finement ciselés et moulurés. Elle ouvre par deux longs tiroirs en façade et son couvercle découvre un plateau de jeu. La marque au feu du contrôle général nous permet de penser que ce meuble était destiné à l’administration royale.
Bernard Van Risen Burgh est un ébéniste français d’origine hollandaise, reçu maître en 1735. Fils et père d’ébéniste, il est le plus doué de sa dynastie. Bernard Van Risen Burgh est un des grands ébénistes du style Louis XV, pour lequel il crée de très nombreux modèles somptueux. Il produit de nombreux meubles destinés aux nobles et notables et utilise les techniques les plus complexes de son époque comme le plaquage de laque de Chine ou du Japon. Cette matière très difficile à travailler est très appréciée au XVIIIe siècle et notamment sous le style Louis XV. Ses commandes royales sont très nombreuses, nous pouvons notamment citer le bureau plat du Dauphin conservé au Château de Versailles. Bernard Van Risen Burgh crée également des tables de tric trac dans le plus pur style Louis XV présentant des pieds galbés, des tiroirs chantournés et un plateau droit.
Roger Vandercruse est un ébéniste français d’origine flamande, reçu maître en 1755. Ses meubles dans le plus pur style Transition sont ornés de superbes marqueteries, incrustés de matériaux précieux et parés de bronzes dorés. RVLC reçoit de nombreuses commandes de la noblesse et fournit les plus beaux châteaux de petites tables caractéristiques de son style. A la lisière entre les styles Louis XV et Louis XVI, ses créations Transition mêlent formes droites et galbées. C’est également le cas pour les tables de tric trac créées par ce maître, présentant toutes des pieds cambrés Louis XV mais un plateau et une traverse droite dans le plus pur style Louis XVI.
Nicolas Petit est un ébéniste français, reçu maître en 1761. Il a créé des meubles dans trois grands styles du XVIIIe siècle : Louis XV, Transition et Louis XVI. Ce maître très populaire tient sa boutique « Au nom de Jésus » rue du Faubourg Saint-Antoine. Son estampille est aujourd’hui présente sur de nombreuses pièces ce qui révèle son importante production. Nicolas Petit a produit de nombreux meubles dans le style Louis XV et notamment des commodes galbées caractéristiques de cette période, des bureaux plats, secrétaires ou petites tables. Ce mobilier Louis XV et Transition est richement orné de fines marqueteries florales. Sous le style Louis XVI, Nicolas Petit produit de nombreux meubles en acajou aux lignes droites ornés de simples filets marquetés. Dans le goût de cette fin de XVIIIe siècle, il pare ses meubles de plaques de porcelaine de Sèvres, de laque d’Extrême-Orient ou de mosaïques de pierres dures. Nicolas Petit a créé des tables de tric trac dans le style Louis XVI en acajou au plateau droit reposant sur des pieds fuselés. Une magnifique ornementation de bronzes dorés dans le style néoclassique orne ce meuble avec grâce.