Par Galerie Nicolas Lenté
Mobilier, Tableaux et Objets d'Art de la Haute Epoque au XVIIIe
Notre œuvre est peinte à l'huile sur une grande plaque d'ardoise, un support rarement employé, mais très prisé au début du XVIIe siècle, par un artiste de l'école de Vérone, de l'entourage d'Alessandro Turchi (1578-1649).
Il s'agit d'un portrait de Laura Dianti en Salomé avec la tête de Saint Jean Baptiste. Notre peinture prend sa source dans une œuvre peinte vers 1520 par le grand maître vénitien Tiziano Vecelli (Le Titien), le portrait de Laura Dianti, épouse du duc Alphonse d’Este (aujourd’hui dans la H. Kisters Collection à Kreuzlingen en Suisse).
Notre peintre, comme il est souvent d’usage, s’appuie sur ce modèle. La duchesse adopte exactement la même pose que dans la composition du Titien. La coiffe, le bijou de cheveux en étoile, les drapés, la chemise ouverte, le nœud qui ceint la robe, tous les détails du costume sont repris à l’exception de la couleur de la robe qui passe d’un bleu cobalt à un vert émeraude sombre. Cependant la ...
... main gauche de la jeune femme s'appuie sur l’épaule d’un jeune servant noir sur l’œuvre du Titien, tandis que sur notre tableau elle pose sa main sur la tête de Saint Jean Baptiste. Ainsi la duchesse devient Salomé et le portrait se transforme en peinture d'histoire.
Cette composition théâtrale est accentuée par la lumière puissante qui éclaire la scène, laissant les fonds dans la pénombre qui n'est autre que la couleur naturelle du support. Le traitement en clair-obscur de notre portrait renforce la dimension dramatique du sujet. Cette empreinte caravagesque est très présente dans l’œuvre d’Alessandro Turchi qui, comme nombre de ses condisciples, abandonne un maniérisme tardif au profit d’une vision moderne apportée par Michelangelo Merisi da Caravaggio (Le Caravage).
L'atmosphère chargée d'émotion est tout de même apaisée par l'amabilité et la douceur émanant de Salomé, la splendeur de son costume et son attitude imperturbable au milieu d'une tragédie.
Le support choisi par notre artiste, saturé de vernis, est censé d'émerveiller le spectateur par son effet miroir et son rendu de volume, de même que tromper le regard pour ainsi donner vie au personnage.
L'originalité et la rareté de notre œuvre réside non seulement dans l'emploi de l'ardoise, mais aussi dans la composition où le maniérisme de la renaissance rencontre le réalisme brutal de l'école Caravagesque.
Notre tableau est présentée dans son cadre d’origine en bois doré et orné de décors de feuillage stylisé en reparue.
Dimensions : 41,5 x 34 cm la vue; 50 x 43 cm avec le cadre.
Alessandro Turchi dit l'Orbetto (Vérone 1578 – Rome 22.01.1649) est le fils d’un modeste sabotier borgne (« orbo » en italien), d’où le surnom de « l’Orbetto » accolé à Alessandro. Il s’initie sous les pinceaux du peintre maniériste Felice Brusasorci. Les églises de sa ville natale abritent de nombreuses œuvres de Turchi.
Vers 1615, il se fixe à Rome où son talent est reconnu. Il participe à la décoration du palais du Quirinal où il peint « la récolte de la manne » et « le Christ mort avec Madeleine et les anges ». En 1618, il est inscrit parmi les membres de l'Accademia di San Luca de Rome et en 1634, il en devient Premier Recteur.
Avec Pasquale Ottino, Alessandro Turchi est le chef de file de l’école de Vérone pour les peintures sur pierres (Ardoise, albâtres, onyx, lapis lazuli…). Cette discipline s’étend dans toute l’Italie mais l’on compte trois foyers principaux : Vérone, Florence et Rome.
Parmi les nombreux chefs d’œuvre laissés par l’Orbetto, on compte « La Fuite en Égypte » au Capodimonte de Naples, « La Mort de Cléopâtre et de Marc-Antoine » au Louvre, « Scènes de l’histoire d’Hercule » à la Alte Pinacothèque de Munich ou encore « Vénus et Adonis » à la galerie Corsini de Florence.
Origines de la peinture sur ardoise et l'émergence de l'école de Vérone
Vers 1530, Sebastiano del Piombo, peintre vénitien établi à Rome, met au point une nouvelle technique pour peindre sur un support d’ardoise.
Moins absorbant que la toile et beaucoup plus lisse que celle-ci, ce support permet un traitement très soigné des surfaces, un brillant qui suggère la perfection du miroir, l’effet d’image dans le miroir évoque la présence réelle de la figure La pierre, plus noble que la toile commune, imputrescible et, malgré sa fragilité, garantit une durée de vie et la parfaite conservation des œuvres, semblait également répondre au débat relatif au Parallèle des Arts et à la suprématie de la sculpture ou de la peinture. Par le recours à la pierre et à l’effet de vérité produit, la peinture prétendait vaincre la sculpture, sur son propre terrain.
Des peintures de chevalet mais aussi des retables sont ainsi peints sur ardoise. Cette technique connaît alors un important succès pour des raisons liées au goût pour l’expérimentation et la curiosité plutôt qu’à un simple souci de pure conservation ; elle se diffuse en Vénétie, à Florence puis gagne d’autres régions comme la Lombardie ou la Ligurie.
Les artistes commencent à employer l’ardoise ou les marbres vers 1530-1560 tout d'abord pour répondre aux exigences posées par le problème de conservation. Cependant les peintres de la génération suivante surtout ceux de l’école véronaise à partir de 1580 utilisent ces supports afin d’intensifier les effets de clair-obscur.
L’atelier des Bassano à Vénise propose en effet au début des années 1580 un nouveau mode, celui des petites peintures sur pierre de touche à destination dévotionnelle qui connaît un développement particulier à Vérone. Entre 1580 et 1630, Vérone se présente comme un centre artistique actif, promouvant une multitude d’artistes tels Marcantonio Bassetti, Alessandro Turchi ou Pasquale Ottino, reconnus pour leurs peintures de petits formats à destination privée. Les œuvres sur ardoise deviennent rapidement une caractéristique de l’école véronaise. Les artistes véronais diversifient leur production et peignent aussi bien des sujets profanes que des sujets sacrés. Destinés à des collections privées, exposés dans des cabinets avec d’autres réalisations de format similaire ou dans la chambre à coucher, lorsqu’il s’agit de peintures religieuses, ces tableaux ont une diffusion locale et s’adressent avant tout aux collectionneurs véronais.
Salomé
Salomé est une figure mineure du Nouveau Testament. Fille d'Hérodiade et nièce d'Hérode Antipas, gouverneur de la Galilée, elle dansa un jour avec tant de grâce devant son oncle pour son anniversaire que ce prince dans l’ivresse de sa joie lui promit sous serment public de lui donner tout ce qu’elle lui demanderait. Salomé, conseillée par sa mère, demanda la tête de Jean Baptiste qui dénonçait avec véhémence le remariage contraire à la loi d'Hérodiade avec Hérode, le demi-frère de son premier époux. Le gouverneur envoya un garde trancher la tête de Jean-Baptiste ; celui-ci vint présenter à la princesse, dans un plateau, la tête du martyr, qu’elle alla aussitôt offrir à sa mère.