Par Galerie Latham
Ce groupe est formé de deux bronzes séparés à patine mordorée.
Carl-Albert Angst (1875-1965) est né dans une famille d’ébénistes zurichois. Il entre à l’École des Arts et Métiers de Genève pour y apprendre la sculpture sur bois et il suit également des cours de dessin. Pour gagner sa vie, il part à Paris y exercer le métier d’ébéniste et de xylograveur, dans l’atelier du sculpteur Jean Dampt (1854-1945), chez qui il se forme puis collaborera, de 1895 à 1901. Le jeune sculpteur s’installe à son compte à partir de 1903 et devient vite renommé grâce à ses meubles de style Art Nouveau. En 1896 déjà, à l’occasion de l’Exposition nationale suisse, il avait exposé un singulier meuble-secrétaire en noyer sculpté, très symboliste, intitulé « La vie humaine », superposant une tête d’enfant, un homme d’âge mûr et un crâne, qui fit sensation et sera acquis en 1899 par le Musée d’Arts et d’Histoire de Genève. Entre 1905 et 1910, Carl ...
... Angst
va sculpter certaines des œuvres les plus importantes de sa carrière, parmi lesquelles des bustes et portraits d’enfants qui le feront être comparé à Jean Carriès par l’historien d’art suisse Daniel Baud-Bovy (Revue Pages d’Art, juin 1925, p. 124). Un autre écrivain et journaliste suisse renommé, Henri de Ziégler, décrit lui aussi de façon très élogieuse la vitalité de son expressivité : « J’aime en Angst cet amour de la vie et surtout, dans ces beaux grands restes de toujours, de la vie qui germe, éclôt et s’épanouit. Force, instinct, amour, intelligence et volonté et matière palpitante encore, tout cela, qui ne comporte point de hiérarchie, se confond dans la synthèse “vie”, qui est partout respectable et belle partout » (in : « Noël Suisse 1917 », Édition Atar, Genève) De multiples œuvres phares naissent ainsi, qui ont été intégrées dans de grands musées en Suisse (Zurich, Bâle, Genève), en France également, où il avait recueilli une grande reconnaissance au sein de la Société nationale des Beaux-Arts à Paris (Auguste Rodin y était alors
président du jury). Angst y fut nommé en 1909 sociétaire à vie. Membre du jury à l’Exposition internationale des Beaux-Arts de Paris, il sera décoré de la Légion d’Honneur en 1928. Sa reconnaissance devint même internationale, lorsqu’il fut nommé Membre du jury des Beaux-Arts pour les Jeux olympiques d’Amsterdam en 1928, et membre organisateur de l’Exposition internationale des beaux-arts de Bruxelles, en 1929. L’artiste était cependant revenu œuvrer à Genève dès 1911. Il fut nommé un temps professeur à l’école des arts industriels de Genève
(1911-1913), enseignement qu’il quitta vite pour se consacrer pleinement à son œuvre artistique. Il sera au cours de sa carrière plusieurs fois nommé Membre de la Commission fédérale des Beaux-Arts (de 1916 à 1918, puis de 1927 à 1930). À partir de 1913, le sculpteur produisit de nombreux monuments publics, des œuvres d’art funéraire, des plaques commémoratives, des portraits en
bustes ou des médailles… « Le monument aux soldats genevois morts sous les armes (1920) clôt ce cycle navré où le génie de Angst atteint si naturellement à l’expression fraternelle de la misère humaine. » commente Daniel Baud-Bovy (ibidem, p. 125). Angst reste l’un des rares sculpteurs de son époque à sculpter encore en taille directe (au contraire d’un Rodin, par exemple, qui travaillait
par modelages préalables).
Les deux sculptures en bronze de Carl Angst que je vous présente aujourd’hui à la vente sont d’un intérêt majeur à plusieurs titres. Il faut les considérer comme un groupe, intitulé « La Danse », daté 1924, mentionné dans cet important article de Daniel Baud-Bovy (ibidem, p.127). L’historien apprécie dans la production du mi-temps des années 20 cette analyse poussée de l’anatomie, mais dans une synthèse plastique « ne retenant que les points strictement organiques ». Elles peuvent être justement regardées comme un sommet de son art dans cette volonté qu’il avait de simplifier la forme, de généraliser l’expression. La simplification du corps en mouvement qu’il opère reste extrêmement vivante et gracieuse. Dans un mouvement synchrone et symétrique, l’homme et la femme exécutent une figure sans doute inspirée par l’enseignement du musicien, compositeur et pédagogue suisse Émile Jaques-Dalcroze (1875-1950), à l’origine d’une danse rythmique fondée sur la musicalité du mouvement et sur l’improvisation. Dalcroze s’était intéressé aux rapports existant entre musique et mouvement, notamment dans les interactions « temps – espace – énergie ». À cette époque — et encore aujourd’hui — son approche a influencé de nombreuses démarches artistiques (musique, danse, théâtre) et thérapeutiques (psychomotricité, handicap). Le groupe sculpté de « La Danse » est reproduit par Daniel Baud-Bovy dans son long article sur Angst
(« Pages d’Art », juin 1925) : on y voit ces deux figures réunies sur une seule et même terrasse, qu’on voit marquée du cachet du fondeur Pastori (fonderie de Carouge). Le musée d’Art et d’Histoire de Genève conserve de nombreuses sculptures de Angst, certaines importantes en bois (« L’artisan. Le père de l’artiste » de 1908), d’autres en pierre (parmi lesquelles un buste du grand peintre Ferdinand Hodler, de 1917), des bronzes et des plâtres, ainsi que des dessins (27 œuvres répertoriées au total). Certaines de ses œuvres ont malheureusement été détruites dans l’incendie du Palais Wilson en 1987, où se trouvaient des réserves du MAH. Mais les plâtres de « La Danse » sont heureusement restés saufs, et sont d’ailleurs présentés actuellement au musée, dans une
salle consacrée aux techniques de la sculpture. Sur des terrasses distinctes cette fois, « La danse : Homme » (plâtre peint en brun, inv. BA 2005-0100) et « La Danse : Femme » (plâtre peint en rose, inv. BA 2005-0102), dons de la famille Baud-Bovy, sont assurément les matrices de ces deux bronzes exceptionnels que je vous propose aujourd’hui.
« La Danse : Homme » (H. 44 x L. 25 x l. 13 cm) et « La Danse : Femme » (H.42 x L. 23 x l. 16 cm).
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