Par Galerie Gilles Linossier
Jean-Baptiste Cadet de Beaupré (1758-1823)
Buste d’un aristocrate
terre cuite
70 cm h. x 43 cm l. x 25 cm pr.
ca. 1805-1815
Ce très beau buste en terre cuite d’un jeune aristocrate inconnu, est représentatif des codes stylistiques pour le portrait sculpté du premier quart du XIXe siècle. Portrait frontal de demi-grandeur, le modèle a l’attitude triomphante et porte le regard vers l’avenir. L’homme, représenté aux cheveux courts, bouclés à la Titus, est vêtu d’une chemise avec col dont les bords ressortent d’en dessous de la cravate, tournée plusieurs fois autour du cou pour arriver au menton et terminer dans un joli nœud, et d’un gilet et redingote suivant la mode parisienne. Le sculpteur, doué, à joué avec le contraste des éléments simples et linéaires d’un côté, et des formes ondulantes et détaillées de l’autre côté ; les plis horizontaux de la chemise, les formes simples du gilet et de la redingote opposent le dynamique ...
... libre du nœud de la cravate, de la coupe volumineuse sur le front et sur la nuque, ainsi que les pattes (rouflaquettes) tombant sur les joues.
Bien que l’iconographie de l’œuvre corresponde à celle du début du XIXe siècle, sa forme est issue du siècle précédent :
le buste est coupé en dessous des épaules et de la poitrine, décrivant une ligne U large, et repose sur un socle rond, typique du XVIIIe. À cela s’ajoutent les traits Houdonesques du portrait qui fait ainsi penser au buste de Robert Fulton, que le grand maître fit en 1803-1804.
Compte tenue de sa qualité, des éléments stylistiques et iconographiques, l’auteur de notre buste d’homme est probablement né en province autour des années 1750-1760, et fut éduqué à la capitale dans la tradition des grands sculpteurs portraitistes du XVIIIe. Le sculpteur Jean-Baptiste Cadet de Beaupré, particulièrement actif en tant que portraitiste et ancien élève de l’Académie royale à Paris, correspond à ce profil.
Jean-Baptiste Cadet de Beaupré
Né en 1758 à Besançon, Cadet de Beaupré apprit les principes de la sculpture à Douai, où son père, artiste dramatique, travaille. Il entra à l’Académie royale de peinture et de sculpture de Paris où il devint l’élève de Claude Michel, dit Clodion (1738-1814).
En 1782, il exposa un relief en cire au Salon de Correspondance, intitulé Faune jouant de la flute. Un an plus tard, il gagna le concours pour la place de professeur de sculpture à l’Académie de Valenciennes, tout juste créée, avec un bas-relief en plâtre intitulé La ville de Valenciennes protégeant les Arts. Il décora d’ailleurs dans cette ville de nombreuses demeures en réalisant des bas-reliefs dans le goût de son maître et exécuta de nombreux portraits dans la tradition du XVIIIe siècle.
Plus tard, il déménagea à Lille, où il devint professeur de sculpture aux écoles académiques. Pendant la Restauration, il exécuta pour cette ville une statue de Louis XVIII, qui fut érigée au milieu de la cour de la Bourse mais fut enlevée en 1830. Le musée des Beaux-Arts de Douai possède le modèle en plâtre ainsi qu’un buste en marbre de Louis XVIII.
Les portraits en terre cuite occupent une place importante dans l’œuvre de Cadet de Beaupré, et s’inscrivent dans la droite lignée des portraits du XVIIIe siècle créées par des sculpteurs doués comme Jean-Antoine Houdon (1741-1828). Nombre d’eux se trouvent aujourd’hui dans les collections privées et sur le marché, tandis qu’une dizaine qui se trouve dans les collections des musées de Valenciennes, de Douai et de Lille.
Notons ceux de Voltaire (1694-1778), du marchand tapissier Jean-Joseph Pruvost-Mustelier, du père du peintre Abel de Pujol, Alexandre Denis Pujol de Mortry, de Madame Ponsart de Montfort, de la tragédienne de la Comédie Française et la grande rivale de Mademoiselle George, la protégée de Bonaparte, Cathérine-Josephine Duchesnois (1777-1835, de Charles Caullet (1741-1825), fait en 1814 et celui en pied de Rosalie Durieux (1788-1812).
En 1895, un monument à Madame Duchesnes fut créé à Saint-Saulve, pour lequel le statuaire Léon Fagel utilisa une copie du portrait fait par Cadet de Beaupré.
Les éléments stylistiques de notre buste correspondent également au travail tardif de Cadet de Beaupré, Prenons par exemple trois bustes d’hommes inconnus, dont deux se trouvent actuellement au Musée des Beaux-Arts de Valenciennes. Il s’agit de trois bustes d’hommes inconnus, faits en terre cuite.
L’un de ces portraits révèle des beaucoup similarités avec notre buste : des éléments importants comme la décoration du bord de la redingote ; le modelé du nez ; l’incision des yeux, les sourcils et les cheveux dans la terre mouillée ; le contraste entre les traits du visage et la coiffure détaillés d’un côté et les grandes surfaces ‘vides’ et formes linéaires des habits du personnage de l’autre côté, ou encore le traitement et la position du bouton gauche de la redingote, tout en bas de l’œuvre, sont tout à fait similaires du style et méthode de Cadet de Beaupré.
Finalement, quoique de moindre qualité, le Musée de Lille tient un buste représentant Charles Watteau (1684-1721) en terre cuite, signé et daté 1819, qui présente une même décoration des bords de la redingote et une même solution du bouton de bas. D’ailleurs ce buste a une couche épaisse sur la surface et il semble que notre buste ait eu une couche pareille, que l’on a par la suite enlevée pour une raison inconnue.
Il se peut que la couche supérieure ait eue une signature de Cadet de Beaupré, qui a par conséquence été enlevée. Non seulement le buste de Watteau, mais aussi le buste d’Antoine Gachet, daté 1821, contient les mêmes éléments stylistiques et la coupure typique en ligne U large en dessous des épaules et de la poitrine.
Pour conclure, nous donnons notre très beau buste à Cadet de Beaupré pour sa qualité, la composition, les éléments stylistiques et son air Houdonesque ci-dessus mentionnés.
Littérature
A.-J. Potier, Livret historique des peintures, sculptures, dessins et estampes du musée de Valenciennes, p. 112-114, 177, imprimerie de A. Prignet, Valenciennes, 1841
Émile Bellier de La Chavignerie, Les Artistes français du XVIII siècle oubliés ou dédaignés, Veuve Jules Renouard, Paris, 1865, p. 39
Nouvelles archives de l’art français, tome XVI, 1900, p. 4
Stanislas Lami, Dictionnaire des sculpteurs de l’école française au dix-huitième siècle, Paris, 1910-1911
L’Académie de peinture et de sculpture à Valenciennes au XVIIIe siècle, p. 87, Édition de la Société des amis du Musée de Valenciennes, Valenciennes, 1986
Jean René Gaborit et autres, Skulptur aus dem Louvre, 89 Werke des fransössisches Klassisismus 1770-1830, Karlsruhe Wilhelm Lehmbruck Museum, 1989
Anne. L. Poulet e.a., Jean-Antoine Houdon. Sculptor of the Enlightenment (National Gallery of Art, Washington, The J. Paul Getty Museum, Los Angeles, Musée et Domaine National du Château de Versailles), Washington, Chicago and London, 2003
James David Draper et Guilhem Scherf,