Par Galerie Lamy Chabolle
Mobilier et objet d'art des XVIIIe, XIXe et XXe siècle
Vase en verre bleu médicéen et métal doré.
Verre au plomb bleu ovoïde soufflé en moule à côtes, cuivre doré, bronze doré.
Florence, fin du XVIe siècle — début du XVIIe siècle.
h. 29 cm ; l. 21 cm (aux anses).
Ce vase appartient à un groupe d’objets très rares et très étudiés, dont les exemples les plus importants sont conservés au Louvre (vases émeraude de forme ovoïde, OA 1116 1 et 2), au British Museum (idem, S. 714), au Victoria & Albert Museum (flasque émeraude, 7445-1861) à Waddesdon Manor (vases de formes variées bleus et émeraude, inv. 3326-3330), au Musée des arts décoratifs de Prague (vase navicellaémeraude, n° 596) et au Palazzo Madama (vase ovoïde incolore, 0036/VE), groupe ainsi décrit dans l’introduction au catalogue des Verres et émaux de Waddesdon Manor :
« Leurs couleurs sont généralement vert émeraude, bleu foncé ou bleu-vert. Les montures en métal doré sont typiques et sont caractérisées par des bandes ...
... horizontales avec différents types de lambrequins, souvent en forme de fleur de lys, et des bandes verticales de grotesques incorporant souvent des têtes de putto ; les poignées sont généralement en forme d'oreille, perlées ou non, mais ont aussi souvent un caractère plus fantaisiste, avec des volutes plus élaborées, ou des figures en termes ; les pieds sont souvent tournés » (Charleston, 1977).
Le piédouche du présent vase est identique à celui d’un vase de ce groupe, conservé au Musée Ariana à Genève, inventorié comme toscan, daté entre le troisième quart du XVIe siècle et la première moitié du XVIIe. Les deux vases sont colorés, soufflés en moule à côtes, côtes qui, très marquées autour du col, disparaissent progressivement au milieu de la panse, un détail remarquable chez les vases les plus raffinés de cette famille. Dans les deux cas, une protrusion sous le pied du vase, qui n’a pas été polie par les artisans verriers, « démontre que ces verres ont été expressément fabriqués pour être montés, et sont incomplets sans leur monture » (Kruger, 2006). Sur les panses, le décor en métal doré, que l’analyse du vase de Genève a révélé comme étant du cuivre doré au feu, diffère d’un vase à l’autre, sans doute en fonction du prestige de chaque commande. Le vase ici décrit se situe à mi-chemin entre le vase de Genève d’une part, simplement décoré de bandes verticales ajourées, sans putto, et celui du Louvre, d’autre part, dont les bandes sont richement agrémentées de têtes de putti, tout autour du vase. Des têtes du putti identiques ornent leurs anses en bronze des deux vases, anses en feuilles d’acanthe également ciselées et dorées au feu, bien que le contour et les ornements des anses soient, comme sur la panse, plus modestes sur le vase de Genève.
La datation des vases et récipients de ce groupe, entre la fin du XVIe siècle et le début du XVIIe, n’est pas disputée, mais leur origine a été longuement débattue. Ils ont été pendant longtemps considérés comme vénitiens, bien que leur verre, plus épais et plus lourd, plus sombre aussi, soit dépourvu de la fantaisie caractéristique des productions vénitiennes de cette époque. Leur épaisseur a donné lieu à l’hypothèse d’une origine allemande, mais aucun des verres colorés allemands du XVIIe siècle ; aucun de ceux, du moins, qui le sont avec certitude, ne présente une monture de ce type : pratiquement tous les vases en verre rubis, par exemple, ont des montures en argent doré — quand ils en ont une. En outre, des verres de ce type sont figurés dans au moins trois peintures du XVIIe siècle : les deux premières sont des natures mortes, exposées au Prado, du peintre hispano-flamand Juan van der Hamen y León, né en 1596 et mort avant 1632 ; la troisième, une nature morte du peintre napolitain Giuseppe Recco, contemporain d’Hamen y León. La monture des vases représentés dans ces natures mortes n’est pas exactement semblable à celles de ce groupe, mais leur parenté est indéniable, et la probabilité que des verres allemands aient atteint à cette période à la fois l'Espagne et l'Italie semble très faible. Il est plus probable, en revanche, que des objets en verre italiens se retrouvent en Espagne au début du XVIIe siècle.
Cette hypothèse italienne est renforcée par ceci, que l'une des formes caractéristiques de cette famille est représentée dans un dessin, conservé au Gabinetto Disegni e Stampe des Offices, attribué au peintre et dessinateur Jacopo Ligozzi. Il s'agit d'un bol pincé aux lèvres, prenant la forme d’une navicella, type dont un exemplaire est conservé au Musée des arts décoratifs de Prague. Ce dessin de Ligozzi montre non seulement la même forme de navicella, mais encore une monture très proche de celles des objets du groupe, à ceci près que le pied, manifestement conçu pour être en métal repoussé, est plus proche d’un pied de calice que d’un piédouche. D'autres dessins attribués à Ligozzi reprennent d'ailleurs la forme des récipients de cette famille.
On sait aussi qu’en 1567, Cosme Ier avait tenté de faire venir un maître vénitien pour travailler à Florence, première tentative vouée à l’échec, réitérée avec succès dans la décennie suivante : en 1579, un four était en fonctionnement à Florence sous la direction du maître Bortolo d’Alvise, débauché d’une verrerie muranaise connue sous l’enseigne des Tre Mori. Ce four florentin était situé dans les jardins des Médicis, entre San Marco et la Via San Gallo, où demeure sous les règnes de François et Ferdinand Iers de Médicis. En 1618, Cosme II fait construire un four dans les jardins du palais Pitti, et, c’est au mois d’août de la même année qu’arrive un autre maître vénitien, Jacomo della Luna, bientôt rejoint par son frère Alvise, puis par leur oncle Ludovico, un an plus tard. La couleur même de ces vases, selon le théoricien florentin de la verrerie Antonio Neri, visait à imiter les gemmes orientales, très prisées à la fin du XVIe siècle, en particulier dans la Florence médicéenne (Tonini, 2011).
C'est à partir de tous ces éléments : couleur et forme du verre, matière, décor et dorure au feu de la monture ; qu'il est permis de dater ce vase bleu de la fin du XVIe au début du XVIIe siècle, c'est-à-dire à l'époque du sommet des arts décoratifs médicéens de Cosme Ier à Cosme II.
Sources
Robert Jesse Charleston et Michael Archer, The James A. de Rothschild Collection at Waddesdon Manor. Glass and stained glass, Fribourg, 1977 ; Ingebord Krueger, « Post-Medieval Colored Lead Glass Vessels », dans Journal of Glass Studies, vol. 48, 2006 ; Cristina Tonini, « Vasi in vetro verde per la cappella Paolina in S. Maria Maggiore a Roma: Note sulla vetraria medicea », dans Journal of Glass Studies, vol. 53, 2011 ; Erwin Baumgartner, Reflets de Venise. Gla?ser des 16. und 17. Jahrhunderts in Schweizer Sammlungen, Bern, 2015.