Par Galerie Gabrielle Laroche
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Ce dressoir à la belle et rare ornementation de marqueterie se présente en deux parties superposées. Le corps supérieur ouvert à dessein permettait de présenter les pièces d’apparat. Il est cantonné aux quatre angles de superbes têtes de bélier admirablement sculptées, reposant sur un étal de fruits.
Des chutes de fruits et de trophées d’armes confèrent au corps inférieur son rythme ternaire sur les deux montants latéraux et le dormant, tandis que les deux vantaux présentent un fin décor fleuri clair, savamment enroulé, œuvre d’artistes allemands, passés maîtres dans cet art.
Des techniques différentes et des bois variés concourent à créer une unité décorative très rare et d’une très belle qualité, sur le double jeu des contrastes ombre/lumière et tons clairs/tons sombres.
Le premier jeu est lié à la sculpture, en ronde bosse ou en très haut relief, faits d’éléments rapportés, limités à la partie supérieure du dressoir : ...
... consoles de feuilles d’acanthe sur la ceinture médiane, balustres, et sur l’entablement : visage d’angelot ailé aux joues rondes et aux cheveux bouclés et têtes de bélier d’une élégance raffinée.
Ces sculptures portent la marque de la Renaissance française à partir de motifs venus d’Italie.
Le second jeu repose sur une technique née en Italie : l’incrustation, devenue marqueterie lorsque l’on peut poser le bois sans creuser le support, à la façon d’une feuille de placage. Largement diffusée, cette technique a été reprise et perfectionnée, en particulier dans les pays germaniques, où artistes et «?ébénistes?» sont passés maîtres dans cet art. Leur influence est ici manifeste, qu’ils aient réalisé ou inspiré ces décors. Les compositions ornementales liées au Welschart «?Renaissance?», associent des essences de bois très variées aux tons très contrastés et l’usage de la pastiglia, pâte blanche dont on remplit les sillons creusés dans le bois : arabesques claires ordonnées autour d’un miroir sombre sur les faces latérales, cornes d’abondance et rinceaux sur la ceinture de tiroirs et l’entablement.
Corps supérieur
L’architrave repose sur deux colonnes à chapiteau ionique, tournées en balustre et enrobées d’un léger décor de feuillage en marqueterie. Elle présente une frise marquetée de rinceaux feuillagés et en son centre une tête sculptée de putto ailé à la chevelure bouclée. Cette architrave est cantonnée aux angles avant et arrière, de têtes de bélier au museau assez allongé, vigoureusement sculptées.
Au fond, une vue avec porte d’entrée de ville, château, pont, maison et bateau est encadrée par deux petits tableaux à décor de fleurs.
Sur chacun de ces deux tableaux est représentée une aiguière posée sur un socle.
Le tableau central rappelle le travail des marqueteurs allemands utilisant la perspective.
Au premier plan, à gauche, est représentée une maison haute à deux étages. Le souci de réalisme de l’artiste lui a fait représenter la cheminée d’où s’élève une fumée.
Au deuxième plan, on aperçoit une porte de ville, un pont-levis baissé, un chemin ainsi qu’un cheval.
À droite se dresse un château fort construit sur un rocher. Il possède deux tours d’entrée crénelées et sa herse levée est prête à accueillir un hallebardier.
Au fond, est représentée une nef à un mat, toutes voiles repliées.
Corps inférieur
Reposant sur des pieds-boule aplatis, la base à moulure concave porte les montants à la belle ornementation de chute à plusieurs étages de fruits (pomme, poires), de blé et couronnée d’un masque vénitien.
Sur le dormant central le décor est différent. On y reconnaît des tambours et des trophées d’armes dans lesquels on découvre, représenté trois fois, une épée antique qualifiée de «?badelaire?» dans les textes du XVIe siècle.
Le meuble ouvre à deux vantaux à l’ornementation délicate et élégante.
Une belle coupe circulaire est posée sur un socle carré. En son centre est planté un axe à trois étages. Des quatre niveaux s’échappent des couples de tiges feuillagées aux belles circonvolutions qui s’enchevêtrent. Çà et là apparaissent fleurs, fruits et épis de blé. Ce motif alsacien que l’on nomme Maikrug «?rose de mai?» se mélange à l’omniprésence du Rollwerk c’est-à-dire l’arabesque.
Au-dessus, la ceinture, scandée de trois consoles en feuille d’acanthe, ouvre à deux tiroirs ornés de deux cornes d’abondance d’où s’échappent fruits et tiges fleuries à larges enroulements.
Le plateau sur lequel repose le corps supérieur est orné sur trois côtés d’une frise marquetée identique à celle de l’architrave.
Les côtés
Les côtés sont le siège d’un magnifique travail à pastiglia déployé en frise sur la ceinture et en un large grotesque, dont la couleur blanc crème étincelle sur le fond de noyer.
L’artiste creuse le bois du dessin à représenter puis en garni le sillon de pastiglia ou de coquille d’œuf pilée mélangée avec de la colle animale.
C’est sur ses parois latérales que se remarque surtout l’influence du menuisier-graveur Eck Veit (mort en 1604). Ce statt schreyner «?menuisier de la ville?» de Strasbourg publie en 1596 son kunstbüchlei «?livre d’art?» dont les 25 planches livrent «?le fruit de l’expérience d’une longue vie de labeur en rassemblant quelques modèles utilisés dans la pratique du métier?». Un ouvrage d’avant garde par la rupture même de leurs auteurs, des «?gens de métiers qui prennent la relève des artistes en donnant la théorie de leur art?» (Fr. Levy-Coblentz). Il exprime son goût pour les réseaux d’arabesques qui viennent se déployer symétriquement autour d’un motif, comme ici les miroirs. De même le traitement du décor latéral de la ceinture évoque les remplois de motifs de ferronnerie opéres par les menuisiers alsaciens, dont Eck Veit.
Toutefois le développement plus libre des motifs sur ce meuble conduit à penser à un artisan postérieur à un Eck plus rigoureux et signe davantage la fin de la Seconde Renaissance alsacienne.
Ce meuble témoigne d’une double inspiration italienne et germanique et d’un savoir-faire de qualité aussi bien dans la sculpture que dans le travail marqueté.
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