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« Les vernis de la Chine ont toujours été les plus estimés ; mais aujourd’huy ceux des Martin les égalent, si même ils ne les surpassent ; et son vernis, si vanté dans toute l’Europe, est l’une de nos productions modernes… » ; ainsi s’exprime le peintre-vernisseur Jean-Félix Watin lorsqu’il parle du plus grand procédé de laque française jamais élaboré au XVIIIe siècle : le vernis Martin.

Le vernis Martin : lorsque le vernis européen concurrence les laques asiatiques

En 1728, les frères Etienne-Simon et Guillaume Martin de Paris inventent un nouveau vernis, capable de faire concurrence aux laques de Chine et du Japon : le vernis Martin. Le terme de « vernis » tire son nom de la ville grecque de Bérénice, en Cyrénaïque. Ce port est particulièrement en activité dès l’Antiquité pour son commerce de la résine « sandarak » extraite du thuya de Barbarie, matériau de base des laques réalisées en Europe. Au XVIIIe siècle, les catalogues de ventes aux enchères emploient le terme de « laque » pour qualifier les objets ramenés d’Extrême-Orient ; celui de « vernis » est réservé aux produits européens, un terme à l’origine du nom « vernis Martin ».

Fragment en vernis martin
Anonyme, Fragment de décor de berline ou de clavecin, vers 1745, Paris © Photo Les Arts Décoratifs

Dans la composition de leur vernis, les Martin utilisent une résine toxique – appelée copal - importée du Brésil et de Ceylan ; mais leur grande habileté réside - à la manière des japonais - dans le mélange de ce copal à de la poudre d’or ou à de la limaille de bronze pour obtenir des surfaces pigmentées. Plus primordiale encore dans la technique, il y a l’étalage du vernis, procédé pour lequel les Martin astreignent leurs ouvriers à une réelle minutie chinoise pour obtenir des résultats sans faille. Pas moins de quarante-trois couches de différentes matières sont ainsi nécessaires afin d’obtenir la transparence et la couleur désirée. Les vingt-trois premières sont en blanc de Meudon de plus en plus fin, tamponné sur le bois ainsi que cela se pratique pour une dorure à l’eau. Un « repareur » cisèle avec des petits fers affilés et tournés et redonne dans l’épaisseur des couches sa brillance à la sculpture. On applique par-dessus cinq couches de couches adoucies à l’aide d’un roseau. Enfin, on va venir vernir et polir cinq fois consécutives.

Malgré un rendu très précis, ce vernis français ne possède pas la qualité d’excellence impulsée par les vernis chinois ou japonais ; sensible à l’eau, il se craquelle aux changements de température et va jaunir mais il possède pour lui une douceur à l’œil que ne peuvent avoir les motifs décorés directement à l’huile. A ce sujet, Jean-Félix Watin parle en ces termes : « Il sera peut-être impossible de rien faire d’aussi beau que les premiers [laques] qui sont venus en Europe ; mais certainement nous avons des ouvrages faits en France et en Angleterre, qui surpassent ceux qu’on a vu arriver depuis le commencement de ce siècle : on se rappelle que le fameux Martin a trompé à cet égard plus d’une fois les plus habiles Connoisseurs ; ses chefs-d’œuvre sont encore recherchés avec le même empressement que les laques anciens ».

L’époque

A la fin du XVIIe siècle, l’engouement pour les objets ramenés d’Extrême-Orient arrive à son apogée. Grâce au réseau des compagnies des Indes anglaises et hollandaises, quantités d’objets et de meubles débarquent en Europe pour y être négociés par les marchands-merciers. A Paris, peintres doreurs-vernisseurs s’établissent dans Faubourg Saint-Antoine à proximité des ébénistes-menuisiers. Face aux enjeux artistiques et commerciaux engendrés, un grand nombre de chercheurs français et européens se penchent sur une étude poussée des procédés de la laque asiatique qu’ils souhaitent réinterpréter avec de nouvelles techniques capables de lui faire concurrence. Parmi eux, on relève les frères Martin, célèbres pour leur technique, si perfectionnée qu’elle porte leur nom et constitue le symbole même de la laque française : le vernis Martin. Travaillé selon le même principe de couches superposées que la laque d’Extrême-Orient, ce vernis est néanmoins bien différent dans sa composition. L’inclusion de la couleur constitue en outre l’une des spécificités de la laque française. Désormais, aux fonds noirs et rouges, s’ajoutent des fonds bleu, vert, jaune, blanc ou or. La demande pour les meubles vernis est vite immense jusqu’à en faire les emblèmes du luxe français.  

Caractéristiques des décors en vernis Martin :

Avec le vernis Martin, le rococo français qui amuse et apprivoise la Chine au XVIIIe siècle, brille d’une nouvelle manière. Les meubles en vernis sont alors décorés de tous les sujets qui divertissent le public. La première source de décor est celle des laques chinoises et japonaises. C’est la source la plus répandue dans le mobilier parisien en vernis Martin. Comme pour les porcelaines, les vernisseurs s’inspirent de ces compositions et ainsi beaucoup de panneaux en vernis Martin imitent ceux des chinois, et principalement ceux à décors floraux. Ainsi, le décor en vernis Martin sur fond noir d’une commode de Jean Desforges est directement inspiré d’un panneau en laque de Chine. A l’inverse, la production de vernis Martin qui imitent les laques du Japon est bien plus réduite, plus difficile, complexe et accessible à un nombre limité de vernisseurs au XVIIIe siècle.

Encoignure vernis martin - Galerie Berger
Paire d’encoignure en vernis Martin, Epoque Louis XV, Galerie Berger © Anticstore

La seconde source est fournie aux vernisseurs par les gravures françaises à décor de la Chine. Moins répandues, on décèle tout de même deux groupes de gravures à sujets chinois : celles qui ornent les recueils de voyage de la Chine et celles gravées d’après des peintres comme Watteau. On représente des chinois, des paysages, des pagodes, des oiseaux. C’est aussi l’esprit de Pillement dans lequel les fleurs fantastiques sont dessinées sur des fonds noirs, pistache ou crème, plus rarement mauve pâle. Les panneaux arrondis des encoignures et des commodes se prêtent ainsi assez bien à cette décoration très souple. Pour les plus grands panneaux, on reste fidèle aux motifs de Coromandel ; mais alors que ces laques sont rigides, la découverte des frères Martin permet au décor de suivre le galbe des commodes. Sur des fonds rouges ou noirs, entre des volutes de bronze doré, s’étale un paysage aux reliefs soulignés par l’or. Des groupes composés de parasols et d’éventails disparaissent dans un nuage pour réapparaître sur un rocher. Pour les plus beaux modèles, on demande parfois même aux frères Martin de réparer les laques ou d’en compléter les motifs, ainsi qu’en témoigne le Journal du marchand Lazare Duvaux : « Pour la marquise de Pompadour, le raccommodage de deux commodes de lacq […] regratté l’ancien vernis en aventurine et refait en noir à neuf par Martin. Rétabli le lacq et ajouté des reliefs pour cacher les défauts ». C’est sur les fonds noirs que resplendissent le mieux les décors d’aventurine – poudre d’or projetée avec une couche de vernis encore humide puis recouverte de couches transparentes. Dans ces chinoiseries, la fantaisie a libre cours. Néanmoins, face au côté raisonnable des français pour lesquels cette légèreté n’est pas convenable, la technique nouvelle du vernis Martin est adaptée à un décor plus conventionnel, c’est-à-dire mythologique. On représente ainsi des armoiries de renommées et de vertus, des bergeries ou encore des nymphes. Ce fond implique des figures peintes dans des tons très soutenus qui donne de la richesse aux sujets. Une des plus grandes réussites du décor européen reste l’ornement des clavecins.

Après la Révolution et le renouveau esthétique qui l'accompagne, le vernis Martin est délaissé sauf par quelques rares suiveurs. Il est lentement redécouvert au XIXe siècle, d'abord par le courant historiciste puis par l'avant garde des arts décoratifs, notamment par Majorelle.

Quelques ébénistes spécialisés en meubles en vernis Martin au XVIIIe siècle

Mathieu Criaerd

Mathieu Criaerd (1689-1776) – maîtrise obtenue le 29 juillet 1738 : Depuis la rue Traversière-Saint-Antoine où il exerce, Mathieu Criard, frère d’Antoine Criard, se présente sans nul doute comme le membre le plus talentueux et le plus fécond de cette famille d’ébénistes. Après avoir œuvré pour Jean-François Oeben jusqu’à son décès en 1763, il va fournir le marchand-mercier Hébert depuis son atelier de la rue Traversière. Sa manière se caractérise par des meubles Louis XV de belle qualité et soignés. Il réalise en outre de très nombreuses commodes qui dévoilent à elles seules un aperçu de l’évolution du style et des modes de décor de mobilier de la première partie du XVIIIe siècle. Ses premières commodes, droites ou « en tombeau » empruntent aux modèles Régence, habillées de bois sombres, ornées de bronzes classiques. Ses œuvres Louis XV se caractérisent par leur placage de bois de rose ou de violette mais aussi par des marqueteries de satiné et d’amarante à motifs de croisillons sur toutes leurs faces. Ces commodes sont ornées d’un décor de bronze composé de minces rinceaux, de feuillages, de guirlandes, toujours très joliment ciselé. Ce même décor est visible lorsqu’il accompagne les décors de laques de Chine ou de vernis Martin dans le goût extrême-oriental que l’ébéniste emploie.

Mathieu Criaerd - Commode en vernis Martin
>Mathieu Criaerd, Commode en vernis Martin, 1742, Paris © Musée du Louvre

Jean Desforges

Jean Desforges – maîtrise obtenue en 1739 : Issu d’une famille d’artisans du meuble, Jean Desforges exerce rue du Faubourg Saint-Antoine. Il est le spécialiste des meubles, quasi-exclusivement des commodes, en laque de Chine, du Japon ou en vernis européen que l’on appelle aussi vernis Martin. Les décors de ses meubles se composent de motifs de fleurs, d’oiseaux, de paysages montagneux sur fond noir, parfois rouge, déployés en plein ou en larges panneaux cernés de placage ou de vernis. Ils sont encadrés de bronzes rocaille de belle qualité, toujours ciselés avec délicatesse.

Adrien Delorme

Adrien Delorme (1722-1791) – maîtrise obtenue le 22 juin 1748 : Reconnu comme l’un des meilleurs ébénistes de son siècle, Adrien Delorme est en outre renommé pour ses marqueteries, ses laques et ses vernis dans le goût de l’Extrême-Orient. Depuis la rue du Temple, il œuvre en qualité de fabricant et marchand de meubles. Son œuvre se caractérise par ses très nombreuses commodes galbées de style Louis XV, ornées de décors de laques de Chine ou du Japon ou encore de vernis européens qu’il alterne avec des marqueteries de fleurs ou géométriques. 

 

Le vernis Martin sur le mobilier au XVIIIème siècle

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