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Jean-Claude Degez, antiquaire spécialisé en céramique ancienne des XVIIe et XVIIIe siècles en provenance des prestigieuses manufactures françaises, nous fait partager son interêt pour la faïence de Moustiers.Propos recueillis par Marine Langard

Quelles sont les spécificités de la faïence de Moustiers ?

En premier lieu je dirais les formes. Celles de Moustiers, comme dans toutes les manufactures sont spécifiques. Elles permettent bien souvent d’attribuer une faïence à un centre, ou au moins à une région. Au XVIIIe siècle les décorateurs se déplaçaient mais les moules propres à la fabrication étaient jalousement conservés dans les ateliers.

Ensuite, l’émail, incomparable, blanc, crémeux, onctueux et très brillant. À ce propos, il existe sur les plats et assiettes de Moustiers une particularité : Au revers des pièces, on trouve un bourrelet d’émail en bordure de l’aile du au tour de main de l’émailleur. Les décors et bordures des pièces sont également très caractéristiques de la production Moustérienne.

Et enfin, un détail important, la sonorité de la pièce. Quel plaisir de faire sonner une faïence de Moustiers !!! un son clair et surtout très long…

Considérez-vous le décor des frères Ferrat comme un décor caractéristique de Moustiers ?

Oui bien sûr, la manufacture des frères ferrat a réalisé, durant la seconde moitié du XVIIIe siècle de très beaux décors et encore une fois très caractéristiques : Scènes paysannes, chinois, perruches et surtout un décor aux arlequins très recherché. La majorité de leur production est en petit feu, mais il existe quelques rares faïences en technique mixte c’est-à-dire grand feu et petit feu sur la même pièce.
Plat et assiette en faïence de Moustiers XVIIIe siècle, atelier des Frères Ferrat
1. Assiette en faïence de petit feu - Moustiers XVIIIe siècle, fabrique des Frères Ferrat
2. Plat en faïence de Moustiers décor aux perroquets - attribué aux ateliers des Frères Ferrat

Quel est le procédé de fabrication employé pour réaliser un décor sur les pièces de Moustiers?

Il existe deux techniques différentes pour réaliser un décor sur une faïence au XVIIIe siècle : Le décor au "grand feu" et le décor au "petit feu".

Dans les deux cas, l’opération initiale est identique : On cuit l’argile à une température d’environ 900°, cuisson appelée au dégourdi et l’on obtient un biscuit. Cette argile est ensuite trempée dans un bain d’émail, puis laissée séchée. Là, se séparent nos deux techniques.

Le décor au grand feu : Devant sa pièce recouverte d’émail en poudre, dite pulvérulente, le décorateur utilise comme guide un poncif, papier perforé d’une multitude de petits trous. Posé sur l’émail, ce poncif sera tamponné avec un tissu rempli de poudre de charbon de bois, laissant apparaître sur l’émail blanc le pourtour du motif. Il lui restera à l’aide d’un pinceau à déposer les oxydes pour terminer son œuvre. La pièce sera ensuite cuite à une température d’environ 1000°, d’où l’appellation grand feu.
Il n’existe que cinq oxydes qui peuvent supporter une telle température : Le cobalt (bleu) - le manganese (violet) - l’oxyde de cuivre (vert) - l’antimoine (jaune) - l’oxyde de fer (rouge)

Le décor de grand feu reste le plus difficile à exécuter, en effet, aucune modification n’est possible. La moindre erreur de pinceau et l’émail absorbe l’oxyde, laissant apparaître le défaut. Donc, toutes les pièces en grand feu, sont réalisées en une seule fois.

Le décor au petit feu : C’est vers 1745-1748 que les ouvriers travaillant à Meissen, apportent le secret à Strasbourg. Paul Hannong, développe cette nouvelle technique, qui offre une palette de couleurs, plus vives et éclatantes. C’est un franc succès et beaucoup de manufactures reproduisent ce type de décor. Technique de réalisation du décor au petit feu, je vous rappelle l’opération initiale, l’argile est cuite, puis ensuite trempée dans le bain d’émail.
Mais pour le petit feu, une nouvelle cuisson intervient. On obtient donc une pièce avec l’émail durci par la cuisson et non plus pulvérulente. Il reste au décorateur à travailler son décor avec toutes les modifications qu’il souhaite (Contrairement au grand feu). Enfin, une dernière cuisson sera effectuée à une température d’environ 600°à 700°.

Quelles sont les pièces les plus fabriquées à Moustiers?

Au XVIIIe siècle la plus grande production était des services complets avoisinant les 260 ou 300 pièces et parfois plus, commandés par la riche noblesse. Les assiettes sont en plus grand nombre, puis la platerie et enfin les pièces de forme.

Quels sont les critères qui donnent à la faïence de Moustiers sa valeur ?

Je dirais sa qualité, sa rareté et son état. La majorité de nos clients sont des collectionneurs, toujours à la recherche de pièces rares pour ne pas dire uniques. Tous les critères doivent être réunis, la forme, la qualité de l’émail, le graphisme du décor et la palette de couleurs. L’état d’une faïence reste déterminant pour le prix de vente.

Un décor de la faïence de Moustiers rencontre-t-il plus de succès ?

Plusieurs décors sont très appréciés des amateurs. Les pièces du début de production, Pierre 1er Clerissy fait appel à l’un des plus grands peintres de l’époque, Gaspard Viry, qui peignait les décorations intérieures des vaisseaux de la marine royale à Toulon. Inspiré des décors du graveur Antonio Tempesta (graveur et peintre florentin de la renaissance italienne) Gaspard Viry réalise de véritables tableaux de scènes de chasse en camaïeu bleu sur les plats d’apparats. Plats toujours recherchés et appréciés.
Ensuite les décors de la période d’Olerys & Laugier (1739-1749)
Par l’originalité, comme les grotesques, mais aussi par de très fines réalisations comme les scènes mythologiques, les guirlandes.
1. Plat aux grotesques - Moustiers XVIIIe siècle, Atelier Olerys & Laugier
2. Plat mythologique en faïence de Moustiers XVIIe siècle, polychromie de grand feu - Atelier Olerys & Laugier, décorateur Solome Cadet
En fait tous les décors de Moustiers sont appréciés, le seul vrai critère de sélection et fonction de sa propre sensibilité.

Est-ce que l’on trouve de la faïence de Moustiers dans les musées ? - A l’international ?

La plupart de nos musées nationaux exposent des faïences de cette manufacture, la production a été très importante. Mais, en tout premier lieu citons le musée de Moustiers qui regroupe un bel échantillon de toute la fabrication Moustérienne.
Concernant l’international, nos grandes manufactures Française sont également bien représentées, par exemple au Metropolitam Museum de New York, mais aussi dans bien d’autres grands Musées.

Quelle est la clientèle attirée par la faïence de Moustiers ?

Dans l’ensemble notre clientèle est principalement Française, mais aussi Européenne, Belge, Allemande et Italienne, en majorité des collectionneurs. Nous avons également quelques amateurs Américains.

Avez-vous le souvenir d’une pièce exceptionnelle passée dans votre galerie ?

Quelle est la plus belle pièce que vous ayez eue entre vos mains ?
C’est tout le plaisir de notre métier, avoir entre les mains des pièces exceptionnelles et bien souvent uniques. Par exemple, nous venons de mettre en ligne sur notre site AnticStore un pichet en faïence de Moustiers, attribué à la manufacture de Fouque. Un modèle rare et probablement unique, d’ailleurs il est illustré dans le répertoire de la faïence Française.
Rare pichet en faïence de Moustiers de la seconde moitié du XVIII siècle, décor en polychromie de grand feu - Attribué à J. Fouque.
Difficile de répondre à votre question concernant la plus belle pièce !!!
Chaque faïence est différente, avec son charme, son décor, son émail... nous avons eu la chance de posséder plusieurs faïences de grandes collections, mais la plus belle reste à mon avis la prochaine...

Quelle est la gamme de prix de vente de la faïence de Moustiers ?

Comme dans tous les domaines, le prix d’une faïence dépend de sa qualité, sa rareté et de son état, mais une collection en faïence de Moustiers, peut se constituer avec un petit budget.

La production de la fin du XVIIIe siècle, appelée « décor de Beaucaire » réalisée pour cette même foire, reste tout à fait accessible. Le prix d’une assiette peut se situer entre 70 et 100 euros.
Pour une belle pièce de collection, compter entre 1 000 et 2 000 euros, selon les modèles.
Le haut de gamme reste réservé à de gros budgets. Pour information un plat à décor dit « à la Bérain » s’est vendu en vente aux enchères il y a quelques années 55 000 €, ou une assiette avec un très rare décor dit « aux huit médaillons » à 42 700 €.

faïence de Moustiers

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