Biographie
Thomas Chippendale, le plus célèbre des ébénistes anglais, naquit dans le comté de Worcester vers 1718 et fut inhumé à Londres le 13 novembre 1779. Il était fils d'un artisan qui pratiquait à la fois la menuiserie et la sculpture. Dès son enfance, son père l'avait amené à Londres où il se maria en 1748, puis s'installa dans Conduit street, Long Acre.
Ses talents lui acquirent bientôt une brillante réputation, surtout comme sculpteur de sièges. Avant 1753, il vint se fixer au centre de la ville, à Saint-Martin's lane, et y monta de vastes établissements qui comprenaient un atelier pour vingt-deux ouvriers avec des magasins occupant trois immeubles. Le feu les détruisit en partie le 4 avril 1755, mais cet accident n'arrêta pas la prospérité croissante de l'entreprise.
Chippendale venait de grandir sa renommée par un recueil de dessins qui donnait au public un aperçu de ses travaux. « The Gentleman's and Cabinet-maker's Director », dédié au prince Guillaume-Henry, duc de Glocester, obtint le plus éclatant succès et ouvrit à son auteur les portes de la Société royale des Arts. La première édition, parue en 1754, fut suivie d'une seconde en 1759, puis d'une troisième en 1762, comportant des additions et des variantes qui tenaient compte des changements de la mode. La liste des souscripteurs imprimée en tête de ce livre montre que le maître avait une très large clientèle. Parmi nombre de seigneurs qui l'employaient à cette époque, on peut citer les ducs de Portland et de Northumberland, le comte de Dufferies, lord Morton, lord Poulett, lord Pembroke et sir Ed. Lascelles, le futur comte d'Harewood.
Au mois de janvier 1766, la mort de son associé, James Rannie, obligea Chippendale à liquider ses marchandises en vente public. Depuis lors, il conserva seul les ateliers et magasins de Saint-Martin's lane, qu'il céda douze ans plus tard à son fils. Sa santé devait déjà être chancelante quand il abandonna la direction de sa maison, car il succomba peu après.
Le style Chippendale
Le nom de cet artiste est resté populaire. Les anglais s'en servent pour désigner, dans l'histoire de leur mobilier, une période qui s'ouvre sous le règne de Georges 1er, vers 1725, et qui se prolonge durant une quarantaine d'années, jusqu'au temps où triompha l'influence de l'architecte Robert Adam.
On connaît le curieux ameublement alors en faveur dans le Royaume-Uni. Il présentait d'abord ce caractère distinctif d'être presque tout entier fabriqué en acajou, avant que l'emploi de ce bois n'eût commencé à se répandre sur le continent; il réunissait en outre des pièces fort disparates. Beaucoup d'entre elles se rattachaient aux traditions hollandaises introduites en Angleterre par Guillaume d'Orange: c'étaient des meubles d'aspect un peu froid, mais d'une agréable netteté, et des sièges robustes au dossier à jour, avec des pieds courbes s'épatant à la base ou se terminant par des griffes posées sur une boule.
D'autres sièges, ainsi que des tables, des vitrines, des étagères, pastichaient les formes anguleuse et déchiquetées du style chinois. Enfin l'art du Moyen Age, qui gardait au delà de la Manche de fervents admirateurs, inspirait des productions pseudo-gothiques, non sans analogie avec celles que le romantisme fit éclore en France aux alentours de 1830.
Certes l'idée n'est pas blâmable d'avoir groupé toutes ces sortes d'ouvrages sous la dénomination du plus grand ébéniste de l'époque. Encore faut-il remarquer que celui-ci ne prit aucune part à leur invention et les trouva en pleine vogue lorsque s'ouvrit sa carrière. Bien plus: voulant faire oeuvre de novateur, Chippendale fut amené presque aussitôt à dégager sa manière des formules déjà viellies et à préconiser un tout style que celui auquel on attache son nom.
Il en tira les éléments de notre art Louis XV. Ce goût avait déja conquis tout le reste de l'Europe; seuls les Anglais était restés insensibles à ses séductions par orgueil national et par hostilité politique. Cependant, depuis la paix de 1748, leur animosité contre la France s'atténuait peu a peu et les conjonctures semblaient favorables pour les amener à la mode universelle du «rococo». Chippendale s'y employa avec d'autant plus de zèle que le genre se prêtait à une ornementation luxuriante et lui permettait de faire briller davantage ses talents de sculpteur. On trouve dans son album des exemples nombreux d'ouvrages soi-disant «français» plusieurs se présenent même sous des appellations françaises, notamment une chaise-longue baptisée du nom nom suggestif de péché-mortel.
L'oeuvre de Thomas Chippendale
Dire que ces compositions sont fort médiocres serait les juger avec indulgence. Elles ne valent guère mieux que celles imaginées à la même époque en Allemagne ou en Italie. Comme la plupart des étrangers, Chippendale semble avoir mal compris le style qu'il prétendait imiter: il n'en saisissait pas l'esprit subtil, la grâce riante, le charme voluptueux, en n'en voyait qui le côté fantasque et maniéré qu'il exagéra jusqu'à l'absurde. Ses commodes pataudes, ses consoles surchargées de sculputres hétéroclites, ses sièges tordus en tous sens et qui ne semblent tenir debout que par miracle suffiraient à faire prendre en horreur le goût dont ils se réclament. L'artises s'est montré plus heureux dans ses tentatives pour rajeunir l'aspect du mobilier anglais en s'inspirant discrétement des nouvelles tendances. Les modèles qu'il dessinait dans les formes en usage avant lui ont un souplesse, une légèreté jusqu'alors inconnues.
Sans rien perdre de leur caractère original, ils se parent de riches moulures, de coquilles, de rinceaux, de fleurs, et leurs pieds, plus mollement cambrés, finissent en volutes à la manière française. Certaines chaises que le dessinateur a conçues suivant ces principes, en découpant sur toute la hauteur de leurs dossiers des noeuds et des flots de rubans, sont des créations de la plus aimable fantaisie. L'engouement de Chippendale pour le genre Louis XV le poussait même à introdure des rocailles dans ses ouvrages chinois, et jusque dans ses cabinets et ses buffets gothiques, où ils produisent, on le devine, un effet assez imprévu.
Toutefois, malgré les efforts de ce maître et de son école, le «rococo» ne réussit pas à s'implanter en Angleterre. Il y arrivait trop tard. Au même moment, la découverte des ruines de Pompéi excitait une émotion intense chez les savants et les artistes; leur enthousiasme allait bientôt gagner les salons et révolutionner la mode dans l'Europe entière, imposant partout à l'architecture, à la décoration, au mobilier, un style imité de l'art gréco-romain.
Dès 1762, Chippendale compsait, pour la troisième édition de son livre, plusieurs modèles dans le goût antique, et, durant le reste de sa période d'activité, il produisit le plus souvent des travaux de ce genre.
Malheureusement son oeuvre n'est guère connue que par ses dessins. Comme tous les ébénistes anglais, il négligeait de signer ses meubles, de sorte qu'on n'a pu identifier avec certitude que fort peu de pièces faites sous sa conduite.
Thomas junior Chippendale
Thomas junior, fils du précédent, lui succéda en 1778. Il exploita d'abord l'établissement de Saint-Martin's lane en société avec un sieur Th. Haig qui avait été longtemps comptable chez son père et qui vécut jusqu'en 1803. Dans la suite, Chippendale fils transféra la maison à Haymarket; il ne renonça au commerce que peu avant de mourir en décembre 1822.
Ce fabricant travailla pour David Garrick à Londres, pour lord Townshend à Raynham-Hall, et a laissé de fort bons ouvrages datant de la première période de sa carrière industrielle. On lui doit un livre d'ornements qu'il publia en 1779 et dont il avait gravé lui-même les planches. Peintre de talent, il exposa plusieurs fois aux Salons de Londres vers la fin du XVIIIe siècle. Il faisait partie comme son père de la Société royale des Arts
Source
- Les ébénistes du XVIIIe siècle - Comte François de Salverte - Les éditions d'Art et d'Histoire - 1934