Du 12 décembre 2017 au 20 janvier 2018
Chroniqueur est le terme qui définit le mieux Pierre Le Trividic. Son œuvre n’est en effet rien d’autre qu’une histoire de Rouen, une histoire au quotidien, établie au jour le jour durant près des quarante années qui furent celles de sa carrière. Inlassable observateur de cette ville à la noblesse ancienne, et résonnante déjà de modernité, Le Trividic a traduit, d’une main expressive et alerte de chorégraphe, l’atmosphère de ses ruelles voûtées par les âges qui ignorent, à l’ombre majestueuse de ses édifices gothiques – fragiles héritages des temps médiévaux –, l’activité incessante de son port, des cargos en partance, des remorqueurs poussifs, des déchargements laborieux et bruyants, de ces marins du bout du monde qui trouvent le repos dans quelque estaminet enfumé. Autant de motifs qu’il saisit, d’un œil à la fois tendre et amusé, authentique et humain et recompose, avec humilité et passion, pour en « dresser » la vie, tel un architecte dressant les plans d’une construction, en fonction des réalités du lieu. La comparaison paraît arbitraire, au vu de ses œuvres spontanées et libres qui ne relèvent en rien de cette rigueur mathématique inhérente à l’art de la pierre.
Ce fut pourtant la vocation première de Pierre Le Trividic. En s’inscrivant à l’école des Beaux-Arts de Rouen, c’est la section « Architecture » qu’il choisit. Élève brillant, il cumule rapidement les premiers prix, dans toutes les disciplines. Arpenter et « croquer » les rues, en quête de quelque vérité architecturale, communique à Le Trividic la passion de la ligne et de la couleur, du dessin puis de la peinture. Crayon, pastel, huile, aquarelle, encre, gravure, sanguine deviennent tout à la fois ses plus sûrs moyens d’expression de cette autre passion, inaltérable, qu’il éprouve pour sa ville natale.
L’artiste est complet, l’œuvre d’une extraodinaire abondance qui n’a d’égal que sa liberté d’exécution. Aux sites pittoresques de Rouen dont il s’empare avecfougue sur le papier, aux atmosphères mouvantes dont il s’attendrit sur la toile avec lyrisme, s’ajoutent par milliers pochades et croquis, évocations sensibles de ce que perçoit au hasard son regard, observations amusées d’audience de tribunal, de scènes de théâtre ou de foire, de pauvres artistes consciencieux et las – danseuses de cabaret, clowns burlesques ou musiciens nostalgiques.
Sa parfaite connaissance du dessin, son sens de la composition et de la mise en page, sa libre interprétation, spirituelle et sincère, retiennent, à chacune de ses expositions, l’attention du public. À ses premières toiles solidement construites, grassement peintes et hautes en couleur, succèdent rapidement une technique plus ferme. Ses qualités se concentrent. Le Trividic simplifie, résume, synthétise et chacune de ses œuvres, enlevée avec brio, gagne en puissance expressive. La reconnaissance devient véritablement officielle en 1931 lorsque l’État lui achète une Cathédrale de Rouen, « interprétée comme une châsse d’argent, hallucinante dans un crépuscule livide ». Cinq ans plus tard, la ville de Paris lui achète un panorama de la capitale normande. Déjà dessinateur pour La dépêche de Rouen et La Normandie illustrée, Le Trividic commence également, dans les années 30, une carrière d’illustrateur qu’il poursuivra jusqu’à la fin de sa vie (Les Meilleurs Contes d’A. Allais, Contes sauvages, Contes fervents, Le Sorcier vert de J. de La Varende, Châteaux de Bretagne de F. Le Roy).
Très sollicité dans sa ville, l’artiste ne quitte pour ainsi dire pas Rouen. En 1937, cependant, il accroche aux cimaises de la galerie de l’Atelier quelques œuvres rapportées d’une croisière en Norvège : la vérité de leur exécution atteste tout le talent du peintre – pourtant presque uniquement habitué à la lumière de Normandie à avoir saisi, sous des cieux combien différents, la réalité des lieux. C’est que ce talent réside principalement dans l’acuité de Le Trividic à choisir, parmi toutes les techniques qu’il maîtrise, celle qui, chaque fois, lui permettra d’aller à l’essentiel. Après la guerre, il n’aura de cesse de continuer à mettre en image sa ville, en partie dévastée mais qu’il faillit voir totalement disparaître. Et parce que ses dons sont décidément multiples, il exécute les vitraux de la chapelle de l’hôpital de Dieppe, la décoration peinte du cargo Le Rouennais et se voit confier la configuration d’un jardin à la française pour le parc de la ville d’Oissel. Aujourd’hui, aucune étude sur le Rouen de l’entre-deux-guerres et des années 50 ne saurait ne pas tenir compte de ce témoignage précieux, précis et vivant que constitue l’œuvre de Pierre Le Trividic, le chroniqueur.
Caroline Larroche
Auteur : Galerie Amalhée